Lettre CL.
En attendant le bonheur de te revoir, je me livre, ma tendre amie, au plaisir de t’écrire ; & c’est en m’occupant de toi, que je charme le regret d’en être éloigné. Te retracer mes sentiments, me rappeler les tiens, est pour mon cœur une vraie jouissance ; & c’est par elle que le temps même des privations m’offre encore mille biens précieux à mon amour. Cependant, s’il faut t’en croire, je n’obtiendrai point de réponse de toi : cette lettre même sera la dernière ; & nous nous priverons d’un commerce qui, selon toi, est dangereux, et dont nous n’avons pas besoin. Sûrement je t’en croirai, si tu persistes : car que peux-tu vouloir, que par cette raison même je ne le veuille aussi ? Mais avant de te décider entièrement, ne permettras-tu pas que nous en causions ensemble ?
Sur l’article des dangers, tu dois juger seule : je ne puis rien calculer, & je m’en tiens à te prier de veiller à ta sûreté ; car je ne puis être tranquille quand tu seras inquiète. Pour cet objet, ce n’est pas nous deux qui ne sommes qu’un, c’est toi qui es nous deux.
Il n’en est pas de même sur le besoin : ici nous ne pouvons avoir qu’une même pensée, & si nous différons d’avis, ce ne peut-être que faute de nous expliquer ou de nous entendre. Voici donc ce que je crois sentir.