Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/45

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aujourd’hui, & où je l’évaluais à son juste prix. Mais, comme on dit, la nuit porte conseil ; j’ai trouvé ce matin que, n’ayant pas ici le choix des distractions, il fallait garder celle-là : j’ai donc supprimé le sévère billet. Depuis que j’y ai réfléchi, je ne reviens pas d’avoir pu avoir l’idée de finir une aventure, avant d’avoir en main de quoi en perdre l’héroïne. Où nous mène pourtant un premier mouvement ! Heureux, ma belle amie, qui a su, comme vous, s’accoutumer de bonne heure à n’y jamais céder ! Enfin j’ai différé ma vengeance ; j’ai fait ce sacrifice à vos vues sur Gercourt.

A présent que je ne suis plus en colère, je ne vois plus que du ridicule dans la conduite de votre pupille. En effet, je voudrais bien savoir ce qu’elle espère gagner par là ! pour moi je m’y perds ; si ce n’est que pour se défendre, il faut convenir qu’elle s’y prend un peu tard. Il faudra bien qu’un jour elle me dise le mot de cette énigme ; j’ai grande envie de le savoir. C’est peut-être seulement qu’elle se trouvait fatiguée ? Franchement cela se pourrait ; car, sans doute, elle ignore encore que les flèches de l’amour, comme la lance d’Achille, portent avec elles le remède aux blessures qu’elles font. Mais non, à sa petite grimace de toute la journée, je parierais qu’il entre là-dedans du repentir… là… quelque chose de vertu… De la vertu ! c’est bien à elle qu’il convient d’en avoir ! Ah ! qu’elle la laisse à la femme véritablement née pour elle, la seule qui sache l’embellir, qui la ferait aimer… Pardon, ma belle amie : mais c’est ce soir même que s’est passée, entre madame de Tourvel &