Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/46

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moi, la scène dont j’ai à vous rendre compte, & j’en conserve encore quelque émotion. J’ai besoin de me faire violence pour me distraire de l’impression qu’elle m’a faite ; c’est même pour m’y aider, que je me suis mis à vous écrire. Il faut pardonner quelque chose à ce premier moment.

Il y a déjà quelques jours que nous sommes d’accord, madame de Tourvel & moi, sur nos sentiments ; nous ne disputions plus que sur les mots. C’était toujours, à la vérité, son amitié qui répondait à mon amour ; mais ce langage de convention ne changeait pas le fond des choses ; & quand nous serions restés ainsi, j’en aurais peut-être été moins vite, mais non pas moins sûrement. Déjà même il n’était plus question de m’éloigner, comme elle le voulait d’abord ; & pour les entretiens que nous avons journellement, si je mets mes soins à lui en offrir l’occasion, elle met les siens à la saisir.

Comme c’est ordinairement à la promenade que se passent nos petits rendez-vous, le temps affreux qu’il a fait tout aujourd’hui ne m’en laissait rien à espérer : j’en étais même vraiment contrarié ; je ne prévoyais pas combien je devais gagner à ce contre-temps.

Ne pouvant pas se promener, on s’est mis à jouer en sortant de table ; & comme je joue peu, & que je ne suis plus nécessaire, j’ai pris ce temps pour monter chez moi, sans autre projet que d’y attendre à peu près la fin de la partie.

Je retournais joindre le cercle, quand j’ai trouvé la charmante femme qui entrait dans son appartement,