Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prête à suffoquer. Je me suis avancé pour la secourir, mais elle, prenant mes mains qu’elle baignait de pleurs, quelquefois même embrassant mes genoux : « Oui, ce sera vous, disait-elle, ce sera vous qui me sauverez ! Vous ne voulez pas ma mort, laissez-moi ; sauvez-moi ; laissez-moi ; au nom de Dieu, laissez-moi ! » Et ces discours peu suivis s’échappaient à peine, à travers des sanglots redoublés. Cependant elle me tenait avec une force qui ne m’aurait pas permis de m’éloigner : alors, rassemblant les miennes, je l’ai soulevée dans mes bras. Au même instant les pleurs ont cessé ; elle ne parlait plus : tous ses membres se sont raidis, & de violentes convulsions ont succédé à cet orage.

J’étais, je l’avoue, violemment ému, & je crois que j’aurais consenti à sa demande, quand même les circonstances ne m’y auraient pas forcé. Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’après lui avoir donné quelques secours, je l’ai laissée comme elle m’en priait, & que je m’en félicite. Déjà j’en ai presque reçu le prix.

Je m’attendais, qu’ainsi que le jour de ma première déclaration, elle ne se montrerait pas de la soirée. Mais vers les huit heures, elle est descendue au salon, & a seulement annoncé au cercle qu’elle s’était trouvée fort incommodée. Sa figure était abattue, sa voix faible & son maintien composé, mais son regard était doux, & souvent il s’est fixé sur moi. Son refus de jouer m’ayant même obligé de prendre sa place, elle a pris la sienne à mes côtés. Pendant le souper, elle est restée seule dans le salon. Quand on y est revenu,