Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle se serait gonflée d’orgueil, si c’eût été par ses conseils ! comme son importance en aurait redoublé ! Mon Dieu ! que je la hais ! Oh ! je renouerai avec sa fille : je veux la travailler à ma fantaisie : aussi bien, je crois que je resterai ici quelque temps ; au moins, le peu de réflexions que j’ai pu faire me porte à ce parti.

Ne croyez-vous pas, en effet, qu’après une démarche aussi marquée, mon ingrate doit redouter ma présence ? Si donc l’idée lui est venue que je pourrais la suivre, elle n’aura pas manqué de me fermer sa porte ; & je ne veux pas plus l’accoutumer à ce moyen, qu’en souffrir l’humiliation. J’aime mieux lui annoncer, au contraire, que je reste ici ; je lui ferai même des instances pour qu’elle y revienne ; & quand elle sera bien persuadée de mon absence, j’arriverai chez elle ; nous verrons comment elle supportera cette entrevue. Mais il faut la différer pour en augmenter l’effet, & je ne sais encore si j’en aurai la patience : j’ai eu, vingt fois dans la journée, la bouche ouverte pour demander mes chevaux. Cependant je prendrai sur moi, je m’engage à recevoir votre réponse ici ; je vous demande seulement, ma belle amie, de ne pas me la faire attendre.

Ce qui me contrarierait le plus, serait de ne pas savoir ce qui se passe : mais mon chasseur, qui est à Paris, a des droits à quelque accès auprès de la femme de chambre : il pourra me servir. Je lui envoie une instruction & de l’argent. Je vous prie de trouver bon que je joigne l’un & l’autre à cette lettre, & aussi d’avoir soin de les lui envoyer par un de vos gens, avec