Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/81

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que, tandis que nous nous occuperions à former cette petite fille pour l’intrigue, nous n’en ferions qu’une femme facile. Or, je ne connais rien de plus plat que cette facilité de bêtise, qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi, uniquement parce qu’on l’attaque & qu’elle ne sait pas résister. Ces sortes de femmes ne sont absolument que des machines à plaisir.

Vous me direz qu’il n’y a qu’à n’en faire que cela, & que c’est assez pour nos projets. A la bonne heure ! mais n’oublions pas que de ces machines-là, tout le monde parvient bientôt à en connaître les ressorts & les moteurs ; ainsi, que pour se servir de celle-ci sans danger, il faut se dépêcher, s’arrêter de bonne heure, & la briser ensuite. A la vérité les moyens ne nous manqueront pas pour nous en défaire, & Gercourt la fera toujours bien enfermer, quand nous voudrons. Au fait, quand il ne pourra plus douter de sa déconvenue, quand elle sera bien publique & bien notoire, que nous importe qu’il se venge, pourvu qu’il ne se console pas ? Ce que je dis du mari, vous le pensez sans doute de la mère ; ainsi cela vaut fait.

Ce parti que je crois le meilleur, & auquel je me suis arrêtée, m’a décidée à mener la jeune personne un peu vite, comme vous verrez par ma lettre ; il rend aussi très important de ne rien laisser entre ses mains qui puisse nous compromettre, & je vous prie d’y avoir attention. Cette précaution une fois prise, je me charge du moral ; le reste vous regarde. Si pourtant nous voyons par la suite que l’ingénuité se corrige, nous serons toujours à temps de changer de projet. Il