Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

château n’a rien qui m’attire, à peine parais-je une heure au salon dans la journée. J’ai même, d’aujourd’hui, pris le parti de manger dans ma chambre, & je ne compte plus la quitter que pour de courtes promenades. Ces bizarreries passent sur le compte de ma santé. J’ai déclaré que j’étais perdu de vapeurs ; j’ai annoncé aussi un peu de fièvre. Il ne m’en coûte que de parler d’une voix lente & éteinte. Quant au changement de ma figure, fiez-vous-en à votre pupille. L’amour y pourvoira[1].

J’occupe mon loisir, en rêvant aux moyens de reprendre sur mon ingrate les avantages que j’ai perdus, & aussi à composer une espèce de catéchisme de débauche, à l’usage de mon écolière. Je m’amuse à n’y rien nommer que par le mot technique : & je ris d’avance de l’intéressante conversation que cela doit fournir entre elle & Gercourt, la première nuit de leur mariage. Rien n’est plus plaisant que l’ingénuité avec laquelle elle se sert déjà du peu qu’elle sait de cette langue ! elle n’imagine pas qu’on puisse parler autrement. Cette enfant est réellement séduisante ! Ce contraste de la candeur naïve avec le langage de l’effronterie ne laisse pas de faire de l’effet, et, je ne sais pourquoi, il n’y a plus que les choses bizarres qui me plaisent.

Peut-être je me livre trop à celle-ci, puisque j’y compromets mon temps & ma santé : mais j’espère que ma feinte maladie, outre qu’elle me sauve l’ennui du

  1. Regnard, Folies amoureuses.