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Page:Choisy - Journal du voyage de Siam, 1687.djvu/114

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Journal

Vous pourriez bien eſtre à l’heure qu’il eſt dans ce cabinet de verdure que nous fiſmes l’année paſſée. Mais je n’y ſonge pas : le ſoleil vient de ſe lever pour nous : il ne ſe lèvera pour vous autres Gournéfiens que dans quatre heures ; & il aura beau ſe lever pour Gournai, vous ne vous en lèverez pas plutôt. Peut-eſtre que vous n’avez pas encore ſongé à dormir, & qu’entoure de cinq ou fix in folio, dans votre robe de chambre, étendu ſur votre lit, vous achevez de dévorer un volume dont vous avez leu la préface aprés ſoupé. Quoi qu’il en ſoit, je m’adreſſe à vous, ou raiſonnant, ou dormant : tout cela m’eſt égal ; j’en tirerai auſſi peu de l’un que de l’autre, parce qu’il y a quatre mille lieuës d’ici à Gournai. Car ſans cela, ſi j’eſtois à la ruelle de votre lit, je croi que je vous aimerois mieux dormant que raiſonnant : & voici ſur quoi je me fonde ; ſur l’expérience. N’eſt-il pas vrai que quand vous avez quelque choſe à faire, vous allez dormir ; & que plus l’affaire eſt difficile, plus vous dormez ? Quand les autres mortels ont quelque choſe à faire, ils vont étudier, ils vont veiller. Pour vous, j’en ſuis témoin oculaire, vous n’avez qu’à vous jetter ſur votre lit : votre lit vous eſt ce que la terre eſtoit à feu Antée ; vous y prenez de nouvelles forces. Je n’ai jamais ſongé à en trouver la raiſon : mais ici que je n’ai rien à faire, & qu’éloigné de vous, il faut bien que je raiſonne tout