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Page:Choisy - Journal du voyage de Siam, 1687.djvu/246

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Journal

cens livres, ſelon la ſuppuration des connoiſſeurs : il a quatorze pouces d’embouchure. Nous avons ſalué en paſſant l’appartement de la Princeſſe, qui aſſurément nous voyoit par quelque jalouſie. Il ne faut pas ſonger à la voir. M. Conſtance Miniſtre, qui eſt à tous momens dans le Palais, ne l’a jamais veue. Voici ce qu’il m’en a conté. Elle eſt fille unique, & depuis la mort de ſa mere elle eſt traitée comme la Reine. Elle a ſes terres, ſes rentes, ſes ſujets, ſes ſoldats, ſes officiers ; tout cela indépendamment du Roi. Tous les jours elle donne audiance le matin & le ſoir à toutes les femmes des grands Mandarins, qui n’oſeroient manquer à s’y trouver l’une aprés l’autre. Elle eſt dans ſon trône ; & toutes ces pauvres femmes ſont couchées par terre, la tête baiſſée, dans la même poſture que leurs maris ſont devant le Roi. Sa juſtice eſt trés-ſévere. Quand quelque dame a trop parlé, elle lui fait coudre la bouche ; & quand elle n’a pas aſſez parlé, elle lui fait fendre la bouche juſqu’aux oreilles. Ce n’eſt point une plaiſanterie. M. Conſtance m’a proteſté aujourd’hui que cela eſt vrai ; mais vous pouvez bien croire qu’on ne fait pas tous les jours cette juſtice. Tous les jours elle va voir le Roi deux fois, & dîne avec lui. Il eſt arrivé pluſieurs fois que M.Conſtance, pour des affaires preſſées, a demandé à parler au Roi pendant ſon dîné ; on l’a ſait entrer : la Princeſſe eſtoit à table avec un