peine déformés non seulement les villes ou les villages, mais encore les lieuxdits. Il y a là un exemple frappant des infiltrations qui ont ger-~ manisé une partie de la Bohême et font dire aux Tchèques qu’en Tchécoslovaquie la plupart des Allemands sont des intrus. ^
J’évoque par la pensée, dans cette étroite vallée où nous roulons, la fuite éperdue des populations, accablées déjà par le quart de siècle que durait la guerre de Trente ans. J’aperçois des familles de paysans tchèques abandonnant leurs demeures, poussant leurs maigres bestiaux et essayant de distancer les troupes suédoises de Torstenson. Plus loin, sur les pas de l’armée ennemie, il me semble voir la marche subreptice de l'éternel envahisseur germanique. Des groupes d’Allemands avancent, prêts à la curée, furetant tout le long de la route, s’installant sans vergogne dans les maisons vides qu’ils ne quitteront plus, peuplant cette région désertée où bientôt ils régneront en maîtres.
Avant 1918, en effet, comme tous les Germains de l’Europe centrale, ils se considéraient comme d’essence supérieure. Ils étaient le Herrenvolk, le peuple de maîtres. Ils tenaient les Tchèques en fort petite estime et jugeaient humiliant de parler la langue de ces parias. Aussi, là où les Allemands se sentaient nombreux, le tchèque était-il banni, tandis qu’au contraire l’allemand devait retentir partout où pouvait se trouver un seul Germain. Les choses ont changé, et lorsque nous visitons, dans leur sombre cadre de forets, les vastes étangs de Hirschberg (Doksy) aux rives sablonneuses comme des plages, les Allemands que nous trouvons occupés à radouber des barques n’hésitent pas à fournir en tchèque à M. Jelinek les renseignements qu’il leur demande.