Page:Chopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/126

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On s’attendait aussi à me voir[1] en grande tenue au beau milieu du chœur, que sais-je ? Assise sur le catafalque peut-être. On ne m’a point vue du tout car nous étions cachés dans l’orgue et nous apercevions par une fente ce pauvre cercueil de Nourrit. Vous souvenez-vous comme je l’embrassai de grand cœur chez Viardot, la dernière fois que nous le vîmes. Qui pouvait s’attendre à le revoir sous un drap noir entre des cierges ? J’ai passé cette journée très tristement, je vous assure. La vue de sa femme et de ses enfants m’a fait encore plus de mal. J’avais le cœur si gros et je craignais tant de pleurer devant elle que je ne pouvais lui dire un mot quoique j’eusse été la voir de mon chef. […] Bonsoir, chère amie, j’espère que cette lettre se croisera avec une de vous, je pense que vous avez reçu Gabriel[2] et que vous ferez payer le Buloz. Je compte sur l’argent que je lui ai demandé et que je vous prie de me faire passer, pour quitter Marseille, car tout y est plus cher qu’à Paris, et mon voyage très lent et très précautionneux me coûtera gros comme on dit. Adieu ma Chérie, je vous embrasse tendrement.

Chopin serait à vos pieds s’il n’était dans les bras de Morphée. Il est accablé depuis quelques jours d’une somnolence que je crois très bonne, mais contre laquelle son esprit inquiet et actif se révolte. C’est en vain, il faut qu’il dorme toute la nuit et une bonne partie du jour. Il dort comme un enfant ; j’espère

  1. Preuve qu’à Marseille nul n’ignorait la liaison de Chopin et de George Sand.
  2. Gabriel, roman dialogué qui parut dans la Revue des Deux Mondes. George Sand l’écrivit à Marseille. C’est le roman qu’elle termina dans son lit, et qu’elle dédia à Grzymala.