souffrir par sa faute. C’est aussi le seul homme qui se soit donné entièrement et absolument à moi, sans regret pour le passé, sans réserve pour l’avenir. Puis, c’est une si bonne et si sage nature, que je ne puisse l’amener avec le temps à tout comprendre, à tout savoir ; c’est une cire malléable sur laquelle j’ai posé mon sceau et quand je voudrai en changer l’empreinte, avec quelque précaution et quelque patience j’y réussirai.[1] Mais aujourd’hui cela ne se pourrait pas, et son bonheur m’est sacré.
Voilà donc pour moi ; engagée comme je le suis, enchaînée d’assez près pour des années, je ne puis désirer que notre petit[2] rompe de son côté les chaînes qui le lient. S’il venait mettre son existence entre mes mains, je serais bien effrayée, car en ayant accepté une autre, je ne pourrais lui tenir lieu de ce qu’il aurait quitté pour moi. Je crois que notre amour[3] ne peut durer que dans les conditions où il est né, c’est-à-dire que de temps en temps, quand un bon vent nous ramènera l’un vers l’autre, nous irons encore faire une course dans les étoiles et puis nous nous quitterons pour marcher à terre, car nous sommes des enfants de la terre et Dieu n’a pas permis que nous y accomplissions notre pèlerinage côte à côte. C’est dans le ciel que nous devons nous rencontrer, et les instants
- ↑ L’avenir prouva le contraire.
- ↑ Il ne faut pas voir dans cette appellation une marque de familiarité de la part de George Sand. C’est Albert Grzymala, qui âgé de près de vingt ans de plus que Chopin, avait coutume de dire « mon petit » en parlant du compositeur.
- ↑ « Notre amour »… Cela prouverait, s’il en était besoin, que George Sand ne dit pas la vérité quand dans « l’Histoire de ma vie », elle affirme n’avoir jamais eu que de l’amitié pour Chopin.