Page:Chopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/29

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rapides que nous y passerons seront si beaux, qu’ils vaudront toute une vie passée ici-bas.

Mon devoir est donc tout tracé. Mais je puis, sans jamais l’abjurer, l’accomplir de deux manières différentes : l’une serait de me tenir le plus éloignée que possible de C[hopin], de ne point chercher à occuper sa pensée, de ne jamais me retrouver seule avec lui ; l’autre serait au contraire de m’en rapprocher autant que possible sans compromettre la sécurité de M[allefille], de me rappeler doucement à lui dans ses heures de repos et de béatitude, de le serrer chastement dans mes bras quelquefois, quand le vent céleste voudra bien nous enlever et nous promener dans les airs. La première manière sera celle que j’adopterai si la personne est faite pour lui donner un bonheur pur et vrai, pour l’entourer de soins, pour arranger, régulariser et calmer sa vie, si enfin il s’agit pour lui d’être heureux par elle et que j’y sois un empêchement ; si son âme excessivement, peut-être follement, peut-être sagement scrupuleuse, se refuse à aimer deux êtres différents de deux manières différentes, si les huit jours que je passerai avec lui dans une saison doivent l’empêcher d’être heureux, dans son intérieur, le reste de l’année ; alors, oui, alors je vous jure que je travaillerai à me faire oublier de lui. La seconde manière, je la prendrai si vous me dites de deux choses l’une : ou que son bonheur domestique peut et doit s’arranger avec quelques heures de passion chaste et de douce poésie, ou que le bonheur domestique lui est impossible, et que le mariage ou quelque union qui y ressemblât serait le tombeau de cette âme d’artiste ; qu’il faut donc l’en éloigner à tout prix