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23. — Frédéric Chopin à Julien Fontana, à Paris.

Palma, le 15 novembre 1838.


Mon bien cher,

Je suis à Palma au milieu des palmiers, des cèdres, des cactus, des oliviers, des orangers, des citronniers, des aloès, des figuiers, des grenadiers… enfin de tous les arbres que possèdent les serres du Jardin des Plantes. Le ciel est de turquoise, la mer, de lapis-lazuli ; les montagnes, d’émeraude et l’air est comme au ciel.

Du soleil toute la journée. Tout le monde est vêtu comme en été car il fait chaud. La nuit, on entend des chants et le son des guitares pendant des heures entières. Il y a d’énormes balcons, d’où des pampres retombent. Les remparts datent des Arabes. La ville et tout en général reflètent l’Afrique. Bref, une vie admirable ! Aime-moi. Fais une petite visite à Pleyel car le piano n’est pas encore arrivé. Par quelle voie me l’a-t-on expédié ? Tu recevras bientôt les Préludes. Je vais probablement habiter un cloître merveilleux dans le plus beau site du monde : j’aurai la mer, les montagnes, des palmiers, un vieux cimetière, une église teutonique, les ruines d’une mosquée, des oliviers millénaires. Ah ! ma vie[1], je vis davantage… Je suis près de ce qu’il y a de plus beau au monde. Je me sens meilleur. Remets à Grzymala les lettres de mes parents et tout ce que tu auras à m’envoyer. Il sait quelle est l’adresse la plus sûre. Embrasse Jeannot. Comme il guérirait ici ! Dis à Pleyel qu’il recevra bientôt les manuscrits. Parle peu de moi à nos connaissances.[2] Je t’écrirai bientôt plus

  1. Mot employé fréquemment par Chopin pour « ami ».
  2. Discret, Chopin désirait que l’on parlât le moins possible de ses amours.