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Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/130

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dont Marcelle avait tout de suite saisi la signification secrète : « Comment se comporte-t-il ?… bien ?… »

Il avait d’abord contourné la massive clôture de pierres des champs, construite, il ne savait quand, par les ancêtres, et maintenant il enjambait les rigoles et les javelles. Il marchait à travers les chaumes sans autre bruit que celui des pailles brisées sous ses pieds. Et à chaque pas il s’éveillait dans son esprit mille visions lointaines qu’il croyait à jamais éteintes à l’extrémité de sa mémoire.

De loin, il cria : — « Bonjour, Lucas », en agitant son chapeau à la manière enfantine des écoliers en congé. Il venait de l’apercevoir qui aiguisait distraitement sa faulx au pied d’un vieil orme dont l’ombre couvrait les auges moussus des bestiaux et le puits familier d’où dérivait le nom donné à cette partie de la ferme.

Attiré par les ondulations argentines, rythmées comme une cadence, que Lucas tirait de sa faulx sous le choc alternatif de la pierre à aiguiser sur les deux côtés du tranchant, — car il était un artiste en cette délicate et difficile opération du moissonneur canadien, — Yves n’avait pas tardé à le découvrir.

Comme devant un bonheur inespéré et la figure tout de suite détendue dans un brusque rayonnement de joie secrète, Lucas, sa faulx toujours au bras, s’était empressé de marcher à sa rencontre. Yves lui-même, tiré par les fils mystérieux qui le liaient à chacun des brins d’herbe de la vieille ferme de famille, pénétré par l’ombre douce qui descendait comme toujours de la montagne, et attendri surtout par