Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/131

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le tableau ancien que sa seule présence au milieu des javelles, à côté de Lucas, faisait en ce moment revivre en son âme, Yves avait pareillement senti une indéfinissable émotion l’envahir. C’est que s’ils avaient pris chacun leur voie, ces deux frères, ils avaient toujours retenu l’un envers l’autre leur même amitié d’enfant : celle des jours où ils partageaient leurs glands et leurs pommes, et où, allant à l’école, l’aîné portait, le matin, le panier parce qu’il était plus pesant, le cadet s’en chargeant le soir…

— « C’est jour de chômage à la Poudrerie… Une fête de je ne sais quoi que les Anglais célèbrent aujourd’hui… Et j’ai trouvé le soleil si beau ce matin que j’ai pensé à courir un peu les champs. J’ai fini par te relancer jusqu’ici afin de respirer un peu l’arôme des sapins de la montagne : « Que ça sent donc bon »… « Et toi, Lucas, tu profites de cette belle journée pour faucher ton avoine ? »

Il avait en même temps jeté son chapeau sur un andain et s’était assis sans façon. Lucas, de son côté, avait suspendu sa faulx à une branche, puis jetant sur le sol, pour lui-même et pour Yves, deux ou trois javelles fraîchement coupées, il s’était assis à son tour.

— « Oui, je me hâtais de l’abattre », avait-il repris joyeusement, « car elle est presque complètement mûre… à l’exception de la lisière que tu vois en haut là-bas… Cette différence, je crois, est dûe à l’ombre que projette la rangée de pommiers voisine. »

— « Comme les voilà déjà gros, ces pommiers. Je me souviens que c’est le vieux père qui les a plantés