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CHAP. XI. — LES COMMENTAIRES

de la route tracée pour se faire des ennemis. Nous avons vu avec quelle violence il avait attaqué les Gascons dans ses discours, parce que Pinache était Gascon. Dans les Commentaires il se raille des Allemands et de leur empereur, il entasse les épithètes malveillantes en parlant des Espagnols, et c’est à peine s’il dissimule le mépris que lui inspirent les Italiens. Notre malheureux héros s’était fait des ennemis même parmi les cicéroniens, eux qu’on aurait cru pouvoir compter au nombre de ses amis ; et quoiqu’il ne fît rien pour s’attirer la haine de Jules-César Scaligcr, nous avons vu cependant que ce savant personnage le vilipenda avec toute la force que comportait un langage sale et violent, qui eût été plus que digne du père Duchesne et aurait fait asseoir ce dernier en humble disciple aux pieds du descendant des princes de Vérone.

Il faut ajouter que le premier volume des Commentaires était plein d’erreurs de goût et de critique. Érasme y est traité avec presque aussi peu de délicatesse que dans le Dialogue ; les Apophthegmata y sont considérés comme une œuvre indigne d’un vieillard, et bien plutôt faite pour un écolier qui étudie la grammaire que pour un savant, et les épîtres ne sont pour Dolet que du « fatras » ; les Colloques, si charmants, sont jugés en un langage qui aurait mieux convenu aux correspondants d’Ortuinus Gratius qu’à un disciple de Longueuil ; il est évident qu’un érudit qui lisait ces appréciations pouvait se permettre, sans qu’on le blâmât absolument, de conclure qu’un critique aussi insensé et aussi peu judicieux n’avait rien à apprendre de sérieux à ses lecteurs. Et ce jugement était d’autant plus plausible quand on voyait dans ce volume, comme ailleurs, le ton de mépris arrogant que Dolet prenait pour dire leur fait à tous ceux qui n’étaient pas de son avis. Voilà donc pourquoi, en dehors des quelques gens de lettres avec lesquels l’auteur était lié personnellement et qui, sans exception aucune, reconnaissaient ses grands mérites et voyaient tout ce qu’il promettait, les Commentaires éveillèrent moins l’attention publique et furent moins