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CHAP. II. — PADOUE

Felicissimum cito mori puto. Quamobrem
Et mihi mortuo mortem gratulare,
Et questu abstine,
Morte enim mortalis esse desii.
Vale,
Et mihi quiescenti bene-precare[1].

« Je te salue, lecteur, et je réclame un instant ton attention. Cette destinée que les mortels considèrent comme un malheur — mourir jeune — je la considère, moi, comme un très grand bonheur. Aussi réjouis-toi de ma mort et ne me plains pas, car, étant mort, j’ai cesse d’être mortel. Adieu, et prie pour mon repos. » Outre cette épitaphe nous avons trois odes latines dans lesquelles Dolet célèbre la mort de Villanovanus ; elles furent probablement écrites peu de temps après l’épitaphe, puisqu’elles furent publiées avec les discours en 1534. La première, composée en vers élégiaques, est l’une des meilleures poésies de Dolet, aussi bien comme sentiment que comme langage, et à elle seule elle prouverait l’insignifiance

  1. Tomasini ne parle point de l’épitaphe de Simon Villanovanus. et elle ne semble pas exister à Padoue. Je ne puis accepter le commentaire de M. Boulmier qui dit : « On sent dans ces quelques lignes, mornes et glaciales comme le bronze qu’elles couvraient, cet incurable dégoût du monde, cet amer mépris de la vie, cette sombre et froide aspiration vers le repos du néant qui forme un des traits distinctifs du caractère de ce malheureux Dolet » (p. 11-12). — Je ne vois rien dans cette épitaphe, ni dans les lettres de Dolet, ni dans les autres écrits où on peut supposer qu’il exprime ses sentiments personnels, qui montre soit un dégoût du monde, soit un mépris de la vie, soit une aspiration vers le repos du néant. Dolet, en butte aux amères persécutions de ses ennemis, ne saurait cacher que la mort est désirable. On a de lui une ode intitulée : Mortem esse expetendam : mais dans ses intervalles de tranquillité, il semble jouir d’un heureux caractère, et désirer voir si vie se prolonger, aussi bien pour cultiver son esprit que pour produire des œuvres destinées à lui survivre, et se procurer ainsi cette renommée qu’il rechercha si ardemment. On voit du reste que ce désir de renommée posthume était presque une maladie chez lui, et ce sentiment ne s’accorde d’ordinaire jamais avec un « incurable dégoût du monde » et un « amer mépris de la vie. » Il est bon toutefois de noter que les cyniques, et particulièrement Pérégrinus, offrent des exemples de cette contradiction, et se donnèrent parfois la mort, afin d’acquérir cette notoriété qu’ils désiraient si vivement, tout en prétendant la mépriser. L’idée de la mort toujours présente est, cependant, une des caractéristiques les plus connues des écrivains français de la Renaissance.