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ÉTIENNE DOLET

pouvait ainsi jouir de la société des gens de lettres qui se trouvaient dans cette ville et qui étaient plus nombreux que dans son siège épiscopal.

Un homme comme Jean de Pins ne pouvait guère échapper au soupçon d’hérésie. Un jour il reçut une lettre d’Érasme lui demandant de lui prêter un manuscrit grec de Josèphe, qui venait de la bibliothèque de Philelphe et qui était presque indéchiffrable tant il avait souffert des injures du temps. La lettre fut interceptée. On ne put la lire, mais le nom haï d’Érasme était une preuve suffisante du caractère hérétique de la missive. L’excellent évêque fut immédiatement accusé d’hérésie et requis de faire lecture de la lettre devant l’assemblée du parlement. Les chats fourrés[1] se préparaient à fondre sur leur proie et à traiter l’évêque de Rieux comme coupable, puisqu’il était en relation avec Érasme. La lettre fut lue deux fois devant le parlement ; la seconde lecture avait été demandée (du moins, suivant le rapport des humanistes malicieux), parce que ces consuls barbares savaient peu le latin. À la fin il fut évident qu’il s’agissait de Josèphe ; pas un mot ne trahissait l’hérésie ; la lettre était écrite avec cette prudence qu’Érasme mettait toujours à écrire. Grand fut le désappointement des dévots. Condamner l’évêque de Rieux eût été un triomphe plus grand que de faire brûler Jean de Caturce ou que d’obliger Jean de Boyssone à se rétracter ; mais ceux mêmes qui étaient le plus désireux de le reconnaître coupable furent obligés, contre leur gré, de le proclamer innocent ; Jean de Pins put se moquer des vaines tentatives de ses ennemis[2]. Il mourut en 1537, une de ses dernières actions ayant été de plaider une seconde fois et toujours avec succès la cause de Dolet[3]. Aimé par ses

  1. Dolet les appelle : Vulturii Togati.
  2. Orat. duœ in Tholosam, p. 60.
  3. Erasme (Ciceronianus) est d’avis que le style latin de J. de Pins se rapproche de celui de Cicéron et qu’il aurait pu l’améliorer encore, n’étaient les importantes fonctions publiques qui l’absorbèrent. Duverdier (Supplementum, Epi-