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CHAPITRE XXII.

coucher sur la paille, et Masseau l’aubergiste à se faire homme de peine ; Jaudon, l’arpenteur de Rambouillet, avait donné douze cents livres et de plus sa fille en mariage à un des sorciers pour le mettre dans ses intérêts ; Laroche, de Saint-Arnoult, avouait cent cinquante livres ; Lair, de Bullion, en avait déboursé six cents. — Personne n’avait rien reçu.

L’abbé Buchère, curé de Sonchamp, reçut quelques doléances de son paroissien, il écrivit à M. Védye, lieutenant général de Dourdan, et l’affaire prit une autre tournure. Les lieutenants généraux ne croient pas aux sorciers. Une enquête fut faite, Lorry servit d’espion, et la cabale fut découverte. Les sorciers de Dourdan n’étaient que des escrocs ou des fous. Potin avait passé sa vie à jeter des sorts et à prétendre guérir de la colique hommes et bêtes avec des herbes ; il avait déjà fait un bon séjour à Bicêtre. Clespe, jardinier, lui servait de compère ; plusieurs autres Dourdanais partageaient la recette comme complices. D’autres, d’abord dupes, étaient entrés dans la compagnie, et l’un d’eux s’était chargé de faire Astaroth. Un père Antonin, sous-prieur de l’abbaye de Clairefontaine, pauvre tête séduite par l’espérance du cardinalat, avait sacrifié pour cela son pécule de 700 livres et était devenu séducteur pour le regagner. Quant au sieur d’Enfert, c’était un vieux fou qui recevait chez lui une foule de bergers et de vauriens et était le scandale de sa paroisse et la désolation de ses supérieurs. — Les prétendus livres mystérieux montrés aux braves gens n’étaient simplement que des almanachs, et un grimoire à demi brûlé fut repêché dans la rivière par des laveuses. Quand la chose fut ébruitée, il se trouva dans la contrée plus de trois cents témoins à charge. Les sommes reçues par les sorciers atteignaient un chiffre considérable et l’on murmurait les noms de plus de vingt bourgeois des meilleures familles de Chartres qui attendaient encore des trésors.

Grande fut l’émotion de la population de Dourdan quand, sur un mandat d’amener de M. le lieutenant général, les sorciers, escortés par la maréchaussée, firent leur entrée dans la grosse tour, et quand on vit pendant de longues journées à la barre de l’auditoire, ces personnages redoutés répondre de leurs méfaits, tout comme des voleurs. C’est par des huées que Potin, Cléspe et compagnie furent salués le 22 août 1744 quand ils montèrent en charrette, pour faire le voyage de Bicêtre, avec le brigadier Carpentier, porteur des lettres de cachet paraphées du roi. — Ce qui n’empêcha pas plus d’une bonne âme de se signer en les voyant partir, et de saluer bien bas quand vint à passer nombre d’années après quelqu’un d’entre eux, sorti, à la prière d’une grande dame, de « l’hospital général de la bonne ville de Paris. »

Brunet le parricide. — Les monstres sont souvent célèbres comme les grands hommes. On parla pendant plus de cinquante ans à Dourdan de Brunet, le plus féroce des prisonniers de la grosse tour, qui avait assassiné à la fois, le 30 sept. 1755, sa mère, servante du prieur des Gran-