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CHAPITRE XXII.

ans. La Révolution y envoya autant de suspects que de coupables. Le Directoire, l’Empire y firent enfermer les malfaiteurs du département. Cinq à six cents prisonniers occupaient à la fois les bâtiments conservés. À gauche, toute l’aile de M. de Sancy appartenait aux femmes dont l’infirmerie sortait sur la terrasse. À droite, l’ancien grenier à sel et la grosse tour étaient réservés aux hommes. Dans la cour, en face de la porte principale, une haute muraille séparait les deux quartiers. Adossés de chaque côté à cette muraille, de grands ateliers avaient été construits, et d’autres hangars, faisant face à l’entrée, régnaient de la tour du couchant à la grosse tour, pour le travail des prisonniers. Ce travail consistait à filer de la laine, à éplucher du coton, à tisser des toiles et des étoffes, à fabriquer des bas au métier. Un atelier spécial et important était destiné à la confection des bijoux de nacre, dont le produit atteignait chaque année un chiffre assez considérable.

Une compagnie de vétérans, casernée à la communauté, veillait au maintien de l’ordre et à la sûreté des prisons. Chaque matin, ils faisaient sur la place une petite parade, tandis qu’une bonne sœur de l’hospice, suivie d’une voiture à bras, apportait la soupe, que le père Léger, le géôlier, distribuait aux prisonniers. C’est le tableau que se sont amusés, de leurs fenêtres, à reproduire à la plume ou à l’aquarelle, avec des effets de perspective plus ou moins burlesques, plusieurs des pauvres captifs[1].

La Restauration amena quelques détenus politiques. Les dames de la ville se souviennent d’avoir vu avec compassion, à la fenêtre d’une tourelle, les fils de l’amiral Bruix, qui se distrayaient en regardant les fidèles se rendre à l’église.

Quand il s’agit, en 1818, de transporter à Poissy la prison de Dourdan, des réclamations s’élevèrent dans la ville. C’est qu’avec la prison, des fonctionnaires s’éloignaient, et c’est que les prisonniers eux-mêmes étaient un produit. Une prison même peut laisser des regrets. Nous croyons Dourdan aujourd’hui consolé ; mais, à cette heure encore, sur les lèvres de beaucoup de gens, l’ancien nom revient souvent, et le château, c’est la prison[2].

  1. Quelques personnes à Dourdan possèdent de ces lavis qui se vendaient au profit des artistes. Le moins mauvais, signé d’un nommé Batton, au commencement du siècle, appartient à M. Michaut, qui l’a mis à notre disposition avec une grande obligeance. C’est ce dessin dont notre habile graveur, M. Gaucherel, a exécuté le fac-simile scrupuleusement exact que nous offrons au lecteur.
  2. La grosse tour a servi de prison communale ; elle a aussi servi de prison de passage jusqu’en 1852. La salle basse garde provisoirement sur son enduit une foule de noms, de croquis, de devises, de tirades en vers et en prose, et le fidèle signalement de soldats de toutes armes envoyés aux compagnies de discipline, toujours « bien à tort. »