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DOURDAN SOUS LES DUCS DE BERRY ET DE BOURGOGNE.

vèrent un jour devant Dourdan au nombre de dix mille. Emportée d’assaut, la malheureuse cité fut mise à sac ; femmes et enfants furent passés au fil de l’épée et les hommes de la garnison pendus. L’église Saint-Germain, voisine du château, perdit dans la lutte ses deux tours et une partie de ses murs et de ses voûtes s’effondra. Ce qu’il y eut de plus cruel pour Dourdan, le vieux domaine des rois de France, ce fut de voir flotter plusieurs années sur ses tours l’étendard étranger à côté de la bannière déshonorée de la Bourgogne. C’est un de ces faux et renégats Français, dont parlent les mémoires[1], Jean des Mazis, l’ancien échanson du duc de Bourgogne, qui reçut tous pouvoirs dans le pays comme bailli, gouverneur et capitaine.

On ne peut se faire une idée de l’état lamentable de nos campagnes et de leurs habitants. Cette guerre, après tant d’autres, avait tout ravagé. Dans les champs incultes, les ronces et les broussailles avaient remplacé les moissons. « C’est par les Anglais que les bois sont venus en France, » répétèrent depuis les légendes.

« Les laboureurs, cessant de labourer, allaient comme désespérés et laissaient femmes et enfants, en disant l’un à l’autre : Mettons tout en la main du diable ; ne nous chault (peu nous importe) que nous devenions… Mieux nous vaudrait servir les Sarrasins que les chrétiens, faisons du pis que nous pourrons ; aussi bien ne nous peut-on que tuer ou pendre… Par le faux gouvernement des traîtres gouverneurs, nous faut renier femmes et enfants et fuir aux bois comme bêtes égarées, non pas depuis un an, ni deux, mais il y a jà quatorze ou quinze ans que cette danse douloureuse commença[2]. »

La terre ne rapportant plus rien, propriétaires et tenanciers étaient ruinés, et c’est pitié de lire, comme nous l’avons fait, dans un grand nombre d’actes de vente, cessions, baux passés à Dourdan ou aux environs dans la seconde moitié du xve siècle, cette mention qui revient à chaque instant comme une triste et monotone complainte : « … champ ou vigne qui est demeuré en frische à cause des guerres qui ont été au pays ; — cens ou rente qui de présent est de petite ou nulle value pour le fait des guerres, » etc.

Comme si le ciel avait voulu ajouter ses fléaux à ceux des hommes, les saisons parurent dérangées dans ces années calamiteuses, et les chroniques contemporaines ne manquent pas d’enregistrer, presque à chaque page, les froids destructeurs, les chaleurs excessives, les merveilleux tonnerres, les nuées d’insectes, les maladies nouvelles et bizarres, les piteuses mortalités et toutes sortes de pestilences regardées comme des châtiments d’en haut.

La pauvre abbaye de Louye, bouleversée par les soldats, était comme

  1. Mémoires concernant la Pucelle d’Orléans, coll. Michaud, p. 85.
  2. Journal d’un Bourgeois de Paris.