Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/107

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empereur, déjà malheureux par sa femme et par son fils, frappa aussi de mort son propre frère. On vit tel prince se tuer, pour échapper aux mains d’un tyran ; tel autre tuer son propre cousin-germain, après l’avoir volontairement associé à sa couronne. Un troisième vit mourir sa femme empoisonnée par des médicaments, qu’elle avait pris pour conjurer sa stérilité ; une créature misérable et coupable (car il faut être l’un et l’autre pour vouloir procurer, par des moyens humains, une fécondité que Dieu seul peut donner), osa fournir à l’impératrice ses drogues dangereuses ; elle en fit sa victime et périt avec elle. Un quatrième prince bientôt fut empoisonné aussi, et, croyant prendre un breuvage, but la mort à pleine coupe. Le fils de ce malheureux, dont la santé était une menace pour l’avenir, se vit arracher les yeux, sans avoir mérité ce supplice. Un cinquième a péri plus affreusement encore, et la décence ne permet de dire ni pour quelle raison, ni de quelle façon lamentable il dut perdre la vie. Deux princes lui succédèrent. Or, l’un subit un supplice réservé aux derniers, aux plus misérables des hommes, puisqu’il fut brûlé vif dans un affreux pêle-mêle de chevaux, de poutres, de débris de tout genre, laissant son épouse dans un triste veuvage, et terminant une triste vie dont on ne saurait peindre les tribulations surtout depuis l’époque où il avait pris les armes. Et l’autre prince, qui maintenant règne encore, n’a-t-il pas eu à subir, depuis qu’il porte le diadème, un perpétuel enchaînement de peines, de dangers, d’ennuis, de chagrins, de malheurs, de complots ?
Le royaume des cieux n’a rien de semblable : dès qu’on y parvient, on acquiert la paix, la vie, la joie, l’allégresse. Au reste, je l’ai dit, aucune existence sur la terre n’est à l’abri des souffrances. Car si dans le gouvernement des États la condition des souverains, de toutes la plus heureuse en apparence, est inondée d’un déluge de malheurs, que ne doivent pas souffrir les particuliers, les familles ? Au reste, la multitude des peines de tout genre qu’on rencontre sous la pourpre surpasse toute description. C’est sur ce thème qu’ont été inventées tant de fables lugubres ; puisque toutes les tragédies et les drames qui se jouent sur nos théâtres sont tissus de royales infortunes ; la plupart des faits qu’on représente sur la scène sont empruntés à l’histoire et ont un fond de vérité. Ainsi on nous amuse par les affreux banquets de Thyeste et par les péripéties douloureuses des malheurs qui ont anéanti cette illustre maison.
6. Je vous accorde que les livres des gentils nous ont légué ces histoires. Mais voulez-vous que les saintes Écritures elles-mêmes nous en retracent de semblables ? Saül fut le premier roi ; vous savez qu’après mille traverses douloureuses, il périt malheureusement. Après lui, David, Salomon, Abias, Ezéchias, Josias furent aussi l’objet de tribulations sans nombre.
Concluez donc que la vie présente ne peut aller sans travaux, peines ni chagrins. Pour nous, ne nous affligeons pas pour les mêmes choses que les rois. Affligeons-nous pour d’autres sujets qui rendront notre tristesse avantageuse ; « car la tristesse qui est selon Dieu opère une pénitence certaine pour le salut ». (2Cor. 7,10) Voilà comment il nous faudrait verser des pleurs, gémir, être pénétré de douleur ! Ainsi Paul se désolait, ainsi pleurait-il pour les pécheurs : « Je vous ai écrit », dit-il aux Corinthiens, « le cœur souffrant, l’âme navrée, à travers bien des larmes ». (2Cor. 2,4) N’ayant pas à pleurer sur ses péchés, il gémissait sur ceux d’autrui ; je dis mieux, par la pénitence et la douleur, il savait se les approprier. Personne ne pouvait succomber au scandale, sans que Paul ne fût brûlé ; la langueur des autres l’accablait de langueur. Bonne et sainte tristesse que celle-là, et préférable à toute joie mondaine ! L’homme qui sait ainsi pleurer, je le préfère à tous les hommes ; le Seigneur même proclame bienheureux ceux qui adoptent comme personnelle à eux la douleur de leurs frères. J’admire Paul beaucoup moins pour les dangers qu’il a courus volontairement ; ou plutôt non, je ne l’admire pas moins pour ces périls où chaque jour il trouvait la mort ; mais sa charité me charme et me transporte. J’y reconnais