Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’esclaves, comme un esclave ingrat, il s’efforce de faire descendre un être libre à l’état de bassesse et d’abjection où tombe celui qui a offensé le Seigneur. On dirait qu’il veut supprimer le jugement ; il voudrait supprimer Dieu. Oui, le démon est toujours ainsi. C’est par fraude, par ruse, c’est en usant de pièges qu’il agit ; il n’agit pas franchement et de manière à nous mettre sur nos gardes. S’il n’y a pas de jugement, Dieu n’est pas juste ; c’est le langage de l’homme que je parle ici : et si Dieu n’est pas juste, il n’existe pas : enfin, si Dieu n’existe pas, tout est le jouet du hasard, il n’y a ni vice, ni vertu. Mais c’est là un langage que le démon ne tient pas ouvertement. Avez-vous bien vu le fond de la pensée de Satan ? Voyez-vous comme il voudrait faire de nous des brutes ou plutôt des bêtes féroces ou même des démons ? Ne l’écoutons pas. Oui, il y a un jugement, malheureux et infortuné que vous êtes. Et je sais bien pourquoi vous parlez comme vous le faites. C’est que vous avez bien des fautes sur la conscience ; vous avez offensé le Seigneur ; vous ne parlez pas en pleine liberté, en pleine franchise, et vous croyez pouvoir faire mentir la nature. En attendant, dit l’incrédule, je ne veux pas me mettre l’âme à la torture avec cette idée de la géhenne ; si elle existe, je me persuaderai qu’elle n’existe pas et je me plongerai dans les délices.
Mais pourquoi donc entasser fautes sur fautes ? Si vous croyez, pécheur que vous êtes, aux tourments de l’enfer, vous en serez quitte pour expier vos péchés. Mais si vous ajoutez à vos péchés le crime d’une incrédulité impie, vous serez puni en outre de cette incrédulité avec la dernière rigueur. Et ce qui aura été pour vous une triste consolation d’un moment, deviendra contre vous un chef d’accusation qui vous vaudra un supplice éternel. Vous avez péché, soit. Mais est-ce une raison pour exhorter les autres à pécher aussi, en leur disant qu’il n’y a pas de géhenne ? Pourquoi tromper les âmes simples ? Pourquoi décourager le peuple de Dieu et lui ôter la force de lever les mains au ciel ? Vous renversez tout, en tant que cela dépend de vous. S’ils vous écoutent, les gens de bien ne deviendront pas meilleurs ; ils tomberont dans la mollesse et dans l’inaction ; les méchants, de leur côté, persisteront dans le vice. Mais si nous corrompons les autres, obtiendrons-nous, pour cela, le pardon de nos péchés ? N’avez-vous pas été témoin des tentatives du démon pour faire tomber et pour terrasser Adam ? Le démon a-t-il obtenu son pardon pour cela ? Son supplice, au contraire, a été certainement aggravé. Ne fait-il pas tout ce qu’il peut pour que nous portions la peine non seulement de nos fautes, mais des fautes d’autrui ? Ne croyons donc pas, en entraînant les autres dans notre perte, adoucir notre sentence ; nous nous attirerons, au contraire, une condamnation plus lourde et plus cruelle. Pourquoi nous pousser dans l’abîme et nous perdre les uns les autres ? Ce sont là des habitudes sataniques. Homme, avez-vous péché ? Vous avez un Dieu bon et clément ; priez-le, suppliez-le, pleurez, gémissez, effrayez les autres et demandez qu’ils ne tombent pas dans les mêmes erreurs que vous. Qu’un esclave, après avoir offensé son maître, dise à son fils Mon fils, j’ai offensé mon maître ; toi, efforce-toi de lui plaire et ne fais pas comme moi ; cet esclave, dites-moi, n’obtiendra-t-il pas, jusqu’à un certain point, son pardon ? Ne parviendra-t-il pas à calmer, à fléchir son maître ? Mais si, tenant un tout autre langage, il fait entendre que son maître ne fera pas justice à chacun, que, pour lui, le bien et le mal se mêlent et se confondent, que dans sa maison, on ne sait pas gré aux esclaves de ce qu’ils font, que pensera le maître d’un esclave pareil ? Ne lui fera-t-il pas subir un châtiment plus rigoureux encore ? Oui, certes, et il aura raison. Le premier esclave trouvera une certaine excuse dans son repentir ; l’autre n’obtiendra point de pardon. À défaut d’autre exemple, suivez du moins l’exemple de ce riche qui, au milieu des tourments de l’enfer, disait : « Père Abraham, envoyez Lazare vers mes frères, de peur qu’ils ne viennent dans ce lieu de souffrances ». (Lc. 16,27, 28) Il ne pouvait en sortir, lui ; mais il voulait empêcher les autres d’y tomber. Renonçons donc à notre langage satanique.
6. Quoi, direz-vous, quand les gentils ou les païens nous interrogent, ne voulez-vous pas que nous nous occupions d’eux ? Mais quand, sous prétexte de vous occuper des gentils, vous jetez les chrétiens dans le scepticisme, c’est la doctrine de Satan que vous vous mettez en devoir d’établir. Ce sont des témoins que vous cherchez pour appuyer une doctrine à laquelle vous ne pouvez faire croire avec les