Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/134

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le Lévitique : « Œil pour œil, dent pour dent », dit-il. (Lev. 24,20) C’était ainsi qu’il fallait leur parler ; car rien n’est plus porté à la vengeance que l’enfant. Qu’est-ce que la colère, en effet ? C’est une éclipse de la raison ; c’est un mouvement tumultueux de l’âme ; or, comme cet âge manque surtout de réflexion et de raison, l’enfant se laisse dominer par la colère. Cela est si vrai, que s’il vient à tomber, il se frappe le genou en se relevant, il renverse son tabouret et parvient ainsi à calmer son ressentiment, à éteindre sa colère. Dieu traitait donc les Hébreux comme des enfants, en leur donnant la faculté d’arracher œil pour œil, dent pour dent, en immolant les Égyptiens et les Amalécites, leurs persécuteurs. Dans ses promesses, on croit entendre un père, à qui son enfant vient de dire : Papa, celui-là m’a frappé. Le père répond à son enfant : C’est un méchant ; n’ayons pour lui que de la haine. Tel est le langage de Dieu : Vos ennemis, dit-il, seront les miens, et je détesterai ceux qui vous détestent. (Ex. 23,22) Et, quand Balaam priait, leur abattement était bien celui de l’enfant. Les enfants ont peur d’un rien, d’un morceau de laine et autre objet semblable. Pour calmer leur frayeur, on leur met l’objet sous la main et on charge leur nourrice de leur montrer ce que c’est. Ainsi fit Dieu : Balaam était un prophète terrible, et pourtant la terreur des Hébreux se changea en audace. Dieu traitait les Hébreux comme des enfants qui viennent d’être sevrés et dont on remplit la petite corbeille de mille bonnes choses ; il leur prodiguait les biens et les douceurs. Comme l’enfant qui demande le sein, les Hébreux demandaient l’Égypte et les viandes de l’Égypte.
On ne court donc pas risque de se tromper en regardant Moïse comme le maître, le précepteur des Hébreux, et comme un maître plein de sagesse. Ce n’est pas en effet la même chose d’avoir à conduire des philosophes ou des enfants privés de raison. Voulez-vous un autre exemple ? Écoutez cette nourrice qui dit à son enfant : Aie bien soin de rassembler les plis de ta robe quand tu t’assieds. Ainsi faisait Moïse. Les enfants dont l’âme est encore sans frein, ressentent le pouvoir tyrannique de toutes les passions : c’est la vanité, c’est la cupidité, c’est l’irréflexion, c’est la colère, c’est l’envie qui les domine ; les Juifs aussi étaient esclaves de toutes ces passions ; ils conspuaient Moïse, ils le frappaient comme des enfants qui prennent des pierres, et auxquels on crie : Ne lancez donc pas de pierres, ils prenaient, eux aussi, des pierres pour les jeter à Moïse, leur père, et Moïse fuyait. Quand un père a quelque ornement, son enfant, auquel cet ornement fait envie, le lui demande : ainsi faisaient Dathan et Abiron, s’élevant contre le sacerdoce. C’était le peuple le plus envieux, le plus querelleur et le plus arriéré de tous les peuples en toutes choses. Le moment, dites-moi, était-il favorable pour l’arrivée du Christ ? Étaient-ils mûrs pour les leçons de la sagesse, ces hommes égarés par les passions, aussi effrénés dans leurs désirs que des coursiers fougueux, ces hommes esclaves des richesses et de leur ventre ? Mais tous les préceptes de sagesse du Christ auraient été perdus pour ces insensés, et ils n’auraient profité ni des leçons de Moïse, ni des leçons du Christ.
Un maître qui veut faire lire ses écoliers, avant de leur faire connaître leurs lettres, ne réussira même pas à leur apprendre leur alphabet. C’est ce qui serait arrivé à cette époque. Mais aujourd’hui, les temps sont bien changés. La grâce de Dieu a civilisé le monde et y a semé en abondance les germes de la vertu. C’est pourquoi rendons grâces à Dieu de toutes choses et ne soyons pas trop curieux. Nous ne connaissons pas le temps ; mais l’Être qui a fait le temps, l’ouvrier des siècles le connaît. Cédons-lui donc en toutes choses ; car c’est glorifier Dieu que de ne pas lui demander compte de ce qu’il fait. C’est ainsi qu’Abraham rendait grâces à Dieu, dans la persuasion où il était, dit-il, que Dieu est assez puissant pour tenir toutes ses promesses. (Rom. 4,24) Abraham se gardait d’interroger Dieu, même sur l’avenir ; et nous autres, nous lui demandons compte même du passé. Voyez quelle est notre folie, quelle est notre ingratitude ! Mais corrigeons-nous de ce défaut : loin de nous profiter, cette habitude nous porte un grand préjudice. Soyons reconnaissants envers Notre-Seigneur et glorifions Dieu, afin qu’en le remerciant de tous ses bienfaits nous soyons jugés dignes de sa miséricorde ainsi que de la grâce et de la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et pouvoir, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.