il courrait lui-même au-devant d’un tel don. Rien de plus doux qu’un tel amour ; il n’est mêlé d’aucune amertume. Un ami fidèle est vraiment le baume salutaire de la vie ; un ami fidèle est vraiment un rempart solide.
Que ne ferait pas un ami sincère ? Quelle joie n’apporte-t-il pas à la vie, quelle utilité, quelle sûreté ? Des trésors par milliers ne seraient pas comparables à un sincère ami. Parlons donc des délices d’une sainte amitié. En voyant son ami, l’ami éprouve une joie dont il est inondé. L’union de leurs deux âmes leur procure d’ineffables délices ; il suffit d’un souvenir de l’ami pour élever la pensée, pour lui donner des ailes. Je parle des vrais amis, unis du fond de l’âme, prêts à mourir s’il le faut, dont l’affection est ardente. Je ne veux pas que l’on pense à ces amis vulgaires, amis de table, amis de note, ce n’est pas de ceux-là que je parle. Si quelqu’un possède un ami tel que celui que j’ai en vue, il me comprend. Il ne se rassasie jamais de le voir, le vît-il tous les jours. Il lui souhaite les mêmes biens qu’à lui-même. J’ai connu un homme qui commençait toujours à prier pour son ami, ensuite pour lui-même. Tel est un ami, qu’on aime, à cause de lui jusqu’aux temps, jusqu’aux lieux mêmes. Comme les objets qui ont de l’éclat, le font rejaillir tout autour d’eux, de même les amis laissent quelque chose de leur amabilité aux lieux qu’ils fréquentent. Et souvent nous retrouvant dans ces mêmes lieux sans nos amis, nous pleurons au souvenir des jours que nous y avons passés avec eux. Il n’est pas donné au discours de représenter tout le plaisir que nous fait goûter la présence d’un ami, ceux-là seuls le connaissent, qui en ont fait l’expérience. On peut librement demander une grâce à un ami et la recevoir sans la moindre honte. Lorsqu’ils nous prient de quelque chose, nous leur en savons gré lorsqu’ils craignent de nous importuner, nous ne nous en consolons pas. Nous n’avons rien qui ne soit à eux. Souvent, lorsque tout nous inspire du dégoût en ce monde, nous ne voudrions cependant pas les quitter. Ils nous sont plus agréables que la lumière du jour.
4. Non, la lumière du jour elle-même n’est pas plus douce qu’un ami, qu’un véritable ami. Et ne vous étonnez pas de ce que je dis. Mieux vaudrait, pour nous, que le soleil s’éteignît, que d’être privés de nos amis ; mieux vaudrait vivre dans les ténèbres que d’être sans amis. Pourquoi ? parce que beaucoup peuvent voir le soleil et rester néanmoins dans les ténèbres, et que ceux qui sont riches en amis, ne sauraient ressentir de tristesse au milieu même de l’affliction. Je parle toujours des véritables amis, des amis spirituels, et qui ne préfèrent rien à l’amitié. Tel était saint Paul, qui aurait, de bon cœur, donné sa vie sans même attendre qu’on la lui eût demandée, et qui eût, sans hésiter, descendu dans les flammes de l’enfer. C’est avec cette ferveur qu’il faut aimer. Je veux donner un exemple d’amitié. Les amis aiment leurs amis avec plus de tendresse que les pères n’aiment leurs enfants, que les enfants n’aiment leurs pères, le dis les amis selon Jésus-Christ. Ne me parlez pas des amis d’aujourd’hui, l’amitié est une vertu que nous avons perdue avec tant d’autres. Mais remontez vers les temps apostoliques, et, sans parler des apôtres eux-mêmes, considérez quels étaient les simples fidèles, dont il est dit qu’ils n’avaient tous qu’un cœur et qu’une âme ; que nul ne regardait comme sa propriété exclusive rien de ce qui lui appartenait, et qu’on distribuait à chacun selon son besoin. (Act. 4,30) Les mots « le tien » et « le mien » ne s’entendaient jamais parmi eux. Ne rien tenir comme sa propriété exclusive, mais tout regarder comme le bien du prochain, considérer ses propres biens comme des choses étrangères, épargner la vie de son ami comme la sienne propre : c’est dans la réciprocité, cette disposition que consiste la vraie amitié.
Et où trouver une telle amitié ? dira-t-on. En effet, elle est difficile à rencontrer à cause de notre mauvaise volonté que notre volonté change et rien ne sera plus facile. Si une telle amitié n’était pas possible, Jésus-Christ ne nous l’eût pas commandée ; il n’en eût pas fait un précepte si exprès. Il faut le dire encore une fois, c’est quelque chose de grand que l’amitié. C’est un bien qui ne peut s’exprimer ni se connaître que par l’expérience, l’union des amis a été quelquefois jusqu’à produire des hérésies ; c’est elle qui fait que les païens sont encore païens. Celui qui aimé ne veut ni dominer ni commander. Il se tient pour obligé qu’on lui commande. Un ami aime mieux faire un plaisir que le recevoir, parce qu’il aime. Il est, en donnant toujours, comme un homme qui ne peut satisfaire ses désirs. Il ne trouve pas tant de plaisir dans le bien qu’on lui fait, que dans le bien qu’il fait lui-même. Il