Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/197

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aime mieux obliger son ami que d’être l’obligé de son ami, ou plutôt il veut devoir et qu’on lui soit redevable. Il veut faire plaisir, et il ne veut pas paraître faire plaisir, mais paraître l’obligé tout en obligeant.

Je suis sûr que beaucoup d’entre vous n’entendent rien à ce que je dis. En effet, il semble qu’il y ait de la contradiction à dire qu’un homme en prévienne un autre, qu’il commence à l’obliger le premier, et qu’en même temps il veuille ne point paraître l’avoir prévenu. C’est ainsi que Dieu lui-même a agi à notre égard. Il voulait nous donner son propre Fils ; mais pour ne pas paraître nous le donner gratuitement, mais comme quelque chose qu’il nous devait, il commanda à Abraham de lui donner son fils ; de sorte que tout en nous faisant le plus grand des dons, il paraissait ne rien faire d’extraordinaire. Celui qui n’aime point, reproche le bien qu’il fait, et exagère jusqu’aux moindres grâces. Celui qui aime, au contraire, cache tout le bien qu’il fait et veut que ses bons offices passent pour rien. Bien loin de vouloir qu’on croie que son ami lui ait obligation, il fait tout son possible pour faire croire que c’est lui-même qui lui est obligé des services qu’il lui a rendus. Je vous le dis encore : je sais bien que plusieurs ne comprennent rien à ce que je dis, car je parle d’une vertu qui n’est plus guère maintenant que dans le ciel. Lorsque je vous parle de l’amitié, c’est comme si je vous parlais de quelque plante inconnue qui viendrait dans l’Inde, et que vous n’auriez jamais rencontrée. Tout ce que je pourrais vous en dire, ne vous en donnerait pas l’exacte connaissance, puisque je ne pourrais pas vous en faire sentir la vertu par expérience. De même quelque éloge que je fasse de l’amitié, vous ne me comprendrez pas si vous n’aimez. C’est dans le ciel qu’est cette noble plante ; c’est là qu’elle pousse des branches chargées, non de perles mais de vertus infiniment plus précieuses. Comparez l’amitié à tous les plaisirs honnêtes ou déshonnêtes, vous n’en trouverez pas qui l’égale. L’amitié surpasse toutes les douceurs du monde, sans excepter même celle du miel, puisqu’on finit par se dégoûter du miel et jamais d’un ami. Tant qu’il est ami, on ne s’en lasse point ; au contraire, on l’aime toujours de plus en plus, et la douceur qu’on y senti n’est point mêlée d’amertume.

Un ami est plus agréable que la vie même, c’est pourquoi on en a vu ne plus désirer de vivre après la mort de leurs amis. On souffre de bon cœur l’exil avec un ami, et sans lui on est comme exilé dans son propre pays et dans sa maison même. On trouve la pauvreté supportable avec un ami ; sans lui, ni la santé ni les richesses n’ont rien qui nous plaise, tout nous est insupportable. On retrouve dans un ami un autre soi-même. Je souffre de ne point trouver d’exemple qui me satisfasse. Je reconnais, avec confusion, que tout ce que je dis est infiniment au-dessous de la vérité. Car les avantages que j’ai marqués ne regardent encore que cette vie. Mais ensuite Dieu récompense une amitié semblable au-delà de ce qu’on peut s’imaginer. Il nous offre une récompense afin que nous nous aimions les uns les autres. Aimez, dit-il, et recevez une récompense ; c’est nous qui devrions, pour cela, offrir une récompense. Priez, dit-il encore, et recevez une récompense ; c’est nous encore qui devrions offrir une récompense pour les biens que nous demandons. Parce que vous me demandez mes grâces, recevez une récompense. Jeûnez et soyez récompensé. Devenez vertueux et je vous récompenserai, bien que vous me soyez redevable. Lorsque les pères ont rendu leurs enfants vertueux, ils les en récompensent ; car ils leur sont redevables du plaisir qu’ils éprouvent de les voir vertueux. Dieu fait de même. Devenez vertueux, nous dit-il, et je vous promets une récompense. Votre vertu réjouit mon cœur de père, et pour cela je vous dois une récompense. Si vous devenez mauvais, c’est tout le contraire ; car vous irritez l’auteur de votre existence. N’irritons pas Dieu, réjouissons au contraire son cœur, afin que nous obtenions le royaume des cieux en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.

Traduit par M. JEANNIN.