Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/205

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au contraire, est encore attaché aux richesses qu’on lui arrache par violence. Or, voilà deux conditions qui ne sont pas les mêmes : Ne s’être rien réservé de ses biens après y avoir renoncé volontairement ; ou, quand on les possède encore, se les voir arracher. Prononcez les paroles de Job et vous recevrez des trésors, des trésors bien plus considérables que ceux qui furent accordés à Job. Job n’a reçu que le double de ce qu’il possédait auparavant (Job. 42,10) ; mais à vous, le Christ promet le centuple. La crainte de Dieu vous a fait éviter le blasphème ? vous n’avez pas recouru aux devins ? dans le malheur, vous avez béni Dieu ? C’est comme si vous aviez pris les richesses en dédain ; car une pareille conduite suppose nécessairement le dédain des biens de ce monde. Or il n’y a pas égalité de mérite entre la sagesse lentement acquise qui dédaigne ces biens, et la vertu qui supporte tout le coup d’une perte subite. C’est ainsi que la perte devient un profit, que vous ne recevez aucun préjudice, au contraire que vous recevez du démon un bienfait.

6. Mais maintenant, comment la perte devient-elle un malheur pour vous ? C’est lorsque votre âme est blessée par cette perte. En effet, répondez-moi. Un voleur vous a dépouillé de votre argent ? Pourquoi vous dépouillez-vous vous-même de votre salut ? pourquoi, aux malheurs qui vous viennent des autres, ajoutez-vous de plus grands malheurs où vous vous précipitez vous-même ? Ce voleur vous a peut-être jeté dans la pauvreté, mais vous êtes le premier à vous faire, dans vos plus chers intérêts, les torts les plus graves ; ce voleur vous a privé de choses extérieures à vous, qui plus tard, malgré vous, devaient vous abandonner ; mais vous, vous vous enlevez à vous-même votre éternel trésor. Le démon vous a affligé en vous privant de vos biens ? Affligez-le à votre tour, vous aussi, en bénissant le Seigneur. Gardez-vous de réjouir le démon ; si vous allez trouver les devins, vous réjouissez le démon ; si vous bénissez Dieu, vous portez au démon un coup mortel. Et voyez ce qui arrive : vous ne retrouverez pas vos biens, pour avoir été consulter les sorciers, car ils ne sauraient rien vous dire ; si d’aventure ils vous apprennent quelque chose, vous perdez votre âme, vous devenez la risée de vos frères, et vous reperdez de nouveau, et tristement, tous vos biens. En effet le démon qui sait que vous ne supportez pas une perte de ce genre, que c’est pour vous un motif de renier votre Dieu, ne vous rend vos richesses que pour se ménager une nouvelle occasion de vous tromper. Supposez que les devins parfois rencontrent juste, il n’y a pas lieu, pour vous, de vous étonner. Le démon n’a pas de corps ; il rôde dans tout l’univers, c’est lui-même qui arme les brigands ; car ces œuvres-là ne se font pas sans le concours du démon. Donc, si c’est lui qui arme les brigands, il sait de même où ils se cachent ; car il n’est pas sans connaître ceux qui le servent. Il n’y a donc là rien d’étonnant. Le démon voit qu’une perte vous afflige, il vous en ménage une seconde ; s’il voit au contraire votre dédain qui ne fait que rire de pareilles attaques, il renonce à vous harceler par ce moyen. C’est la conduite que nous tenons nous-mêmes avec nos ennemis ; nous ne les attaquons que par ce qui peut leur causer de la peine ; si nous les trouvons indifférents, nous renonçons à les affliger, dans l’impuissance où nous sommes de les piquer au vif ; ainsi fait le démon.

Que dites-vous ? Ne voyez-vous pas l’indifférence que montrent pour l’argent les navigateurs ; quand la tempête s’élève sur la mer, comme ils jettent tout dans les flots ? Et personne ne se prend à dire : Que fais-tu, ô homme ? Agis-tu donc de concert avec la tempête, es-tu le complice du naufrage ? Avant que les flots engloutissent ton trésor, c’est toi-même qui le jettes dans le gouffre, de tes propres mains ? Avant le naufrage, tu te fais un naufrage toi-même ? Ce seraient là des propos d’un homme grossier, n’ayant aucune idée des hasards de la mer ; au contraire, le matelot expérimenté, sachant ce qui produit le calme, ce qui provoque la tempête, ne fera que rire à de telles paroles : Si je jette, dira-t-il, une proie au gouffre, c’est pour que tout ne soit pas englouti. De même celui qui a l’expérience des choses de la vie humaine et de ses épreuves, au moment où l’esprit risque de faire naufrage, englouti par là corruption, le sage alors se débarrasse de l’argent qui lui reste. On vous a volé, faites l’aumône, et vous rendrez votre barque plus légère. Des brigands vous ont dépouillé ? Eh bien, vous, donnez au Christ ce qu’ils vous ont laissé. Voilà comment vous vous consolerez dans la pauvreté qu’on vous a faite. Rendez votre barque plus légère, ne songez pas à garder ce qui vous reste, votre