Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/320

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qui ne se ralliât à la piété, s’il en était ainsi chez tous.
Comprenez-le bien : Paul était seul quand il a converti un si grand nombre d’hommes ; si nous lui ressemblions tous, combien de mondes n’aurions-nous pas pu convertir. Voici qu’aujourd’hui les chrétiens sont en plus grand nombre que les païens. Dans les autres arts, un seul maître peut former à la fois une centaine d’apprentis ; ici où nous sommes tant de maîtres et devrions former tant de disciples[1], personne ne se joint plus à nous. Car ceux que l’on veut instruire examinent la vertu de leurs maîtres, et, quand ils nous voient les mêmes désirs, la même ambition qu’à eux-mêmes, celle du pouvoir et de la considération, comment pourront-ils admirer le christianisme ? Ils voient des vies dignes de reproches, des âmes terrestres ; nous sommes comme eux et bien plus qu’eux fascinés par les richesses ; nous tremblons comme eux à la pensée de la mort, nous craignons comme eux la pauvreté, nous nous irritons comme eux contre les maladies ; comme eux, nous aimons la gloire et la puissance, nous nous laissons aller au désespoir de l’avarice, nous courtisons les heureux du siècle[2]. Comment peuvent-ils croire ? par les miracles ? mais nous n’en faisons pas ; par des changements de vie ? mais il n’y en a plus ; par notre charité ? mais on n’en voit nulle part nulle trace. Aussi rendrons-nous compte, non seulement de nos péchés, mais de la perte des autres.
Revenons de notre égarement, veillons, faisons voir sur la terre la cité céleste, disons que « notre conversation est dans le ciel », (Phil. 3,20) Montrons-nous sur la terre comme des athlètes. Mais, dira-t-on, il y a eu parmi nous de grands hommes ? Comment le croirai-je, répondra le païen ? Je ne vous vois point faire ce qu’ils ont fait. Et puisqu’il faut aborder ce terrain, nous aussi nous avons de grands philosophes dont la vie fut admirable. Mais montrez-moi un autre Paul et un autre Jean ? Qui ne se rirait de ces raisonnements ? Et qui ne continuera pas à demeurer dans l’ignorance en nous voyant philosophes, non en actions, mais en paroles ? Maintenant chacun est prêt à se faire tuer ou à tuer pour une obole ; pour un vase de terre, vous prononcez mille jugements ; si vous perdez un enfant vous ne vous connaissez plus. Je ne parle pas de ces désordres lamentables, les auspices, les augures, les observations superstitieuses, les thèmes généthliaques, les amulettes, les divinations, les formules d’incantation, les sortilèges ; grands crimes et capables de provoquer la colère de Dieu, quand il nous voit coupables d’une telle audace, après qu’il nous a envoyé son Fils. Eh quoi ! ne faut-il que se lamenter quant à grand peine une faible part des hommes arrive au salut éternel ? Mais ceux qui se perdent l’entendent dire gaîment, parce qu’ils ne subissent pas seuls leur sort, mais se perdent avec un grand nombre. Quelle joie est donc celle-là ? Ils en subiront le châtiment. Ne croyez pas en effet que, comme il arrive sur la terre, il y ait une consolation dans l’autre monde à trouver des compagnons de son malheur. Comment le prouveriez-vous ? Je vais vous rendre la vérité manifeste.
Dites-moi, en effet, si un homme est condamné au feu et qu’il voie son fils brûler avec lui, s’il voit la fumée s’élever de ses chairs, ne ressentira-t-il pas une douleur mortelle ? Si ceux mêmes qui ne sont pas atteints par lé mal sont, à ce spectacle, saisis d’horreur et tombent en défaillance, combien plus ceux qui souffrent aussi. N’en soyez pas surpris, car écoutez la parole d’un sage : « Tu as été atteint comme nous, tu as été compté pour un d’entre nous ». (Is. 14,10) Il y a de la sympathie entre les hommes, et nous sommes frappés par les maux d’autrui. Sera-ce donc une consolation ou un accroissement de souffrances qu’éprouvera un père en voyant son fils soumis a la même peine que lui ? un mari en voyant sa femme ? des hommes, un autre homme ? Ne sommes-nous pas alors plus douloureusement atteints ? – Mais les peines de l’autre vie ne ressemblent pas à celle-ci. – Non, elles sont bien différentes, car le pleur y sera inconsolable, et tous se verront entre eux, et souffriront ensemble. Dans une famine éprouve-t-on quelque soulagement de ses propres maux, parce qu’on les voit partagés par autrui ? Et que sera-ce, quand ce sont un fils, un père, une épouse, des petits-fils qui subissent la même peine que nous ? Quand nous voyons souffrir nos amis, en éprouvons-nous de la consolation ? Non, non ; mais nos douleurs en deviennent plus intenses. Il y a d’ailleurs

  1. Manuscrit du musée britannique de Moscou et de la Laurentienne.
  2. Manuscrit de la Laurentienne.