Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/345

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pas seulement de réprimander, mais de le faire avec sévérité, car c’est ainsi que les autres en concevront de la crainte. Pourquoi donc le Christ a-t-il dit : « Va, et reprends ton frère entre toi et lui seul, s’il a péché contre toi » (Mt. 18,15), tandis que Paul permet de l’accuser devant l’Église ?
3. N’y aura-t-il pas là plus de scandale ? Pourquoi ? Il y en aurait davantage si l’on connaissait la faute et non le châtiment. Mais de même que, si les fautes restent impunies, les coupables se multiplient, de même la répression en redresse un grand nombre. C’est ce qu’a fait Dieu, en châtiant aux yeux de tous, Pharaon, Nabuchodonosor et bien d’autres ; nous voyons que cités et individus ont porté la peine de leurs crimes. L’apôtre veut donc que tous craignent l’évêque, et il lui donne autorité sur tous. Parce que souvent les accusations proviennent du ressentiment, dit-il, il faut des témoins, des hommes qui discutent contre l’accusé, conformément à l’ancienne loi. « Toute parole doit être appuyée par deux ou trois témoins ». (Deut. 19,15) « N’accueillez pas d’accusation contre un ancien ». Il n’a pas dit : Ne condamnez pas, mais : N’accueillez pas même d’accusation, ne le traduisez pas en jugement. Mais si deux témoins mentent ? Cela est rare, mais on peut l’éclaircir dans le jugement et faire briller la vérité. On doit s’estimer heureux qu’une faute ait deux témoins, car elles se commettent en secret et à la dérobée ; en sorte que c’est là matière à examen approfondi. Mais si les fautes sont reconnues et qu’il n’y ait pas de témoins, mais qu’on ait mauvaise opinion de l’affaire ? L’apôtre l’a dit plus haut : « Il faut que, l’évêque ait bon témoignage de ceux du dehors ».
Ayons donc l’amour et la crainte de Dieu. Il n’y a point de loi pour le juste, mais la plupart, suivant la vertu par contrainte et non par préférence, retirent de grands fruits de la crainte et répriment souvent leurs mauvais désirs. Écoutons à cause de cela les menaces qui nous sont faites de l’enfer, afin de recueillir les précieux fruits de cette crainte. Car si Dieu, qui y précipitera les pécheurs, ne nous en eût pas d’avance adressé la menace, un bien grand nombre y fussent tombés. Si en effet, maintenant que la terreur agite nos âmes, il s’en trouve plusieurs qui pèchent si facilement, comme s’il n’y avait pas d’enfer, quels crimes ne commettrions-nous pas si nous n’en avions ni la révélation ni la menace, en sorte, comme je le dis sans cesse, que l’enfer ne montre pas moins l’intérêt que Dieu nous porte que son royaume céleste. L’enfer conspire avec le paradis, puisque la crainte de l’un nous pousse vers l’autre. Ne croyons donc pas que c’est l’œuvre d’un être cruel et impitoyable, mais plutôt l’œuvre de la miséricorde et d’une immense bonté, du zèle avec lequel il veut nous attirer à lui. Si Ninive n’eût pas été menacée par Jonas de sa ruine, cette ruine se serait accomplie ; s’il n’eût pas dit que Ninive serait détruite, Ninive n’aurait pas subsisté ; si nous n’avions été menacés de l’enfer, nous y serions tous tombés ; si nous n’avions été menacés du feu, nul n’y eût échappé. Dieu dit le contraire de ce qu’il veut, afin d’accomplir ce qu’il veut : il ne veut pas la mort du pécheur, et il parle de la mort du pécheur, afin qu’il ne se précipite pas dans la mort. Ce n’est pas une simple parole ; il nous montre la réalité, afin que nous l’évitions.
Et pour que personne ne pense que c’est une vaine menace, pour qu’on en connaisse la réalité, ce qui s’est passé en ce monde le rend manifeste. Le déluge de pluie qui a fait périr le genre humain n’est-il pas une image de la géhenne du feu ? « De même », dit l’Évangile, « que dans les jours de Noé, il y avait des hommes qui se mariaient, des hommes qui donnaient leurs filles en mariage… il en sera de même alors ». (Mt. 24,37, 38) Il a prédit, cet événement longtemps d’avance ; dans l’Évangile encore il le prédit d’avance quatre siècles et davantage[1] ; mais nul ne médite ses menaces, tous les regardent comme des fables et comme un objet de risée ; nul n’a de crainte, nul ne pleure ses fautes, nul ne se frappe la poitrine. Le fleuve de feu bouillonne, la flamme s’élève, et nous, nous rions, nous vivons dans les délices, nous péchons sans crainte. Nul ne fait entrer dans son esprit ce dernier jour, nul ne pense que la vie présente passe, que tout ce que nous voyons n’a qu’un temps, bien que chaque jour les événements nous le crient et nous fassent entendre leur voix. Les morts prématurées, les changements qui ont lieu même pendant notre vie, ne nous instruisent pas, non plus que nos maladies de toute sorte. Et ce n’est pas dans nos corps seulement, mais dans les éléments aussi que l’on

  1. L’orateur s’exprime ainsi parce qu’il parle quatre siècles après Jésus-Christ, dans l’ignorance absolue du temps où viendra le dernier jour.