Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/36

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n’aurais qu’à me taire. Mais si le contraire a lieu, si notre silence, loin de détruire le mal, ne fait que l’aggraver, il faut parler. Celui qui se porte accusateur du crime, n’eût-il point d’autre succès, aura du moins celui d’en suspendre les progrès. Car si impudente, si hardie que soit une âme, à force d’entendre des reproches continuels, il ne se peut que la honte enfin ne l’arrête et ne rabatte un peu de sa malice excessive. Un reste, oui, un faible reste de honte et de pudeur habite encore dans une âme effrontée. C’est un sentiment naturel que cette honte, et Dieu l’a gravée dans nos cœurs. Puisque la crainte filiale ne suffisait pas pour nous contenir, sa bonté divine nous a préparé plusieurs autres motifs d’horreur pour le mal. Ainsi le blâme de nos semblables, la crainte des lois humaines, l’amour de la gloire, le besoin d’amitié : autant de mobiles qui nous déterminent à ne point pécher. Souvent, ce qu’on ne ferait pas pour Dieu, par honte on le fait ; ce qu’on ne ferait point par crainte de Dieu, on le fait par crainte des hommes.
L’important est premièrement d’éviter le péché ; l’éviter en vue de Dieu est un degré de perfection auquel nous nous élèverons plus tard. En effet, pourquoi saint Paul, exhortant les fidèles à vaincre leurs ennemis par la patience, n’emploie-t-il pas, pour les persuader, la crainte de Dieu, mais l’idée du supplice qu’ils attireront sur ces méchants ? « En faisant ainsi », dit-il, « vous amasserez sur sa tête des charbons de feu ». (Rom. 12,20) Parce qu’il veut déjà, en attendant, leur faire faire ce premier pas dans la vertu qui consiste à épargner son ennemi.
Nous avons donc, comme je l’ai avancé, nous avons en nous un principe de pudeur, ainsi que d’autres motifs naturels et honnêtes de vertu. Tel est cet instinct de la nature, qui nous porte à compatir ; c’est bien le plus noble qui habite en notre cœur. On pourrait même demander pourquoi notre humanité possède de préférence cette faculté de se briser à l’aspect des larmes, de se laisser fléchir, d’éprouver un penchant à la miséricorde. Par nature, en effet, personne n’est brave ; par nature, personne n’est insensible à la vanité ; par nature, personne n’est supérieur à l’envie. Mais il est dans notre nature à tous de compatir à la souffrance ; l’homme le plus cruel, le plus féroce éprouve encore ce sentiment. Et quoi d’étonnant, si nous le montrons envers les hommes ? les bêtes mêmes nous inspirent la piété ; tant la pitié surabonde en nous ; la vue même d’un lionceau non émeut : combien plus celle de nos semblables ! Hélas, disons-nous parfois : voyez donc que d’aveugles ! que d’estropiés ! Nous savons que cette réflexion suffit pour exciter en nous la compassion.
Rien ne plaît à Dieu autant que la miséricorde. Aussi l’huile servait à la consécration des prêtres, des rois et des prophètes, parce que l’huile était regardée comme l’emblème de la miséricorde de Dieu. Elle rappelait aussi que le chef, le premier entre les hommes, a besoin plus que personne d’être compatissant ; et l’onction montrait assez que l’esprit de Dieu descendrait en lui pour le rendre ainsi miséricordieux. Dieu, en effet, a pitié des hommes et les traite avec bonté. « Vous avez pitié de tous », dit l’Écriture, « parce que vous pouvez tout ». (Sag. 11,24) Telle était la raison de l’onction. Le sacerdoce lui-même était, de par Dieu, une institution de miséricorde. Les rois aussi recevaient l’onction de l’huile ; et quand on fait l’éloge d’un souverain, on ne peut en trouver qui lui convienne mieux que la clémence : le propre de la souveraineté est, en effet, la miséricorde.
À la miséricorde même, sachez-le, nous devons la création du monde, et imitez votre Seigneur : « La miséricorde de l’homme », est-il dit, « s’exerce sur son prochain : celle de Dieu se répand sur toute chair ». (Sir. 18,12) Sur toute chair, qu’est-ce à dire ? C’est que justes ou pécheurs, nous avons tous besoin de la miséricorde de Dieu, tous nous en jouissons, s’appelât-on Paul, Pierre, Jean.
Au reste, qu’est-il besoin de nos paroles ? écoutons plutôt ces grands saints. Que dit notre bienheureux : « Mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi dans l’ignorance ». (1Tim. 1,13) Mais quoi ? n’eut-il pas dans la suite besoin de miséricorde ? Écoutons-le : « J’ai travaillé plus qu’eux tous, non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Cor. 15,10) — Et parlant d’Epaphrodite : « Il a été malade jusqu’à devoir mourir », mais Dieu « lui a fait miséricorde, non seulement à lui, mais à moi aussi, pour que je n’eusse pas chagrin sur chagrin ». (Phil. 2,27) — Et ailleurs : « Nous avons été affligés au-delà de nos forces, tellement que la vie même nous était à charge. Mais nous avons eu dans nous-mêmes une réponse de