Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/389

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acquittée. Nous nous lavons, et ensuite nous prions comme s’il ne nous était pas permis de prier avant que de nous être lavés. Nous ne prions point Dieu de bon cœur, si nous n’avons auparavant cette pureté des mains ; nous croirions l’offenser en priant sans cette précaution, et souiller notre conscience. Si cette coutume qui, comme j’ai dit, est peu importante, a tant de force néanmoins que c’est pour nous une espèce de nécessité de nous en acquitter tous les jours, qui peut douter que si nous avions pris la même habitude pour faire l’aumône avec la ferme résolution de n’entrer point les mains vides dans la maison de prière, nous ne nous en acquittassions avec la même fidélité ? Et j’ajoute avec la même facilité ? Car la force de l’habitude est extrême, soit dans le bien, soit dans le mal. Quand elle nous entraîne, rien ne nous coûte plus.

Il y en a beaucoup qui ont pris l’habitude de faire sur eux-mêmes des signes de croix continuels. Dès lors ils n’ont plus besoin qu’on les avertisse de le faire, ils le font comme naturellement, et souvent lorsque leur esprit est ailleurs ; cette coutume qu’ils ont prise est comme un maître animé qui les avertit et conduit leurs mains dans l’impression de ce signe sacré. D’autres se sont accoutumés à ne jurer jamais, ni de bon gré, ni de force ; et alors ils ne peuvent plus jurer. Habituons-nous de même à faire l’aumône et nous n’y trouverons plus aucune peine. Combien aurions-nous besoin de nous fatiguer pour trouver un autre remède qui fût aussi puissant et aussi efficace ? Si, étant aussi chargé de péchés que nous le sommes, nous n’avions cette consolation entre les mains, combien gémirions-nous dans le désir de pouvoir racheter nos péchés avec de l’argent ! Ne donnerions-nous pas de bon cœur tout notre bien pour apaiser la colère de notre juge ? Si dans les grandes maladies, on dit de plusieurs personnes : si l’on pouvait se racheter de la mort, cet homme donnerait tout son bien pour le faire ; ne s’y résoudrait-on pas avec beaucoup plus d’empressement encore pour se racheter des rigueurs du jugement suprême ? Admirez quelle est la bonté de Dieu. Il ne vous a pas donné les moyens de vous racheter de la mort temporelle, mais il fait qu’il dépend de vous de vous racheter d’une plus terrible, de la mort éternelle. Ne pensez point, dit-il, à vous conserver une vie si courte et si misérable ; travaillez à vous en acquérir une heureuse qui n’aura jamais de fin. C’est cette dernière que je veux vous vendre et non l’autre. Je ne veux pas vous tromper. Je sais, quand vous auriez celle-ci, que vous n’auriez rien : mais je connais le prix de celle que je vous réserve. Je ne ressemble pas à ces marchands qui ne pensent qu’à tromper, et à vendre cher ce qui en soi vaut peu de chose. Ce n’est pas là ma conduite, pour peu de chose, je donne beaucoup.

Dites-moi, si, entrant chez un joaillier, vous voyez là deux pierres, l’une tout à fait commune et de nul prix, l’autre fort précieuse constituant à elle seule une fortune, et que, payant le prix de la pierre commune, vous reçussiez du vendeur la pierre précieuse, feriez-vous à celui-ci un crime de sa générosité ? Point du tout, vous l’admireriez au contraire. C’est ainsi que l’on vous traite. On vous propose deux vies, l’une temporelle et l’autre sans fin. Dieu en est le vendeur ; mais il lui plaît de nous livrer celle-ci et non celle-là, pourquoi nous fâcher comme des enfants sans raison de ce que nous recevons la précieuse et non pas l’autre ? – Peut-on acheter la vie avec de l’argent, dites-vous ? On le peut, pourvu que nous donnions de notre bien et non du bien d’autrui. – Mon bien est à moi, dites-vous, – ce que vous volez n’est pas à vous ; quand vous diriez mille fois que vous en êtes maître, il ne vous appartient pas. Qu’on mette un dépôt entre vos mains ; il est chez vous pendant l’absence de celui qui vous l’a confié ; direz-vous pour cela qu’il vous appartient ? Si donc lorsqu’un ami met ce dépôt entre vos mains, et vous sait gré de le vouloir bien garder, vous ne pouvez néanmoins dire qu’il soit à vous, pendant le temps même qu’il est dans votre maison, combien moins pouvez-vous le dire d’un argent que vous enlevez aux autres malgré eux et par violence ? Il leur appartient toujours quoi que vous puissiez dire et faire. Il n’y a que la vertu qui soit réellement à nous. Quant à l’argent, le nôtre ne nous appartient même pas, loin que celui des autres nous appartienne. Il est à nous aujourd’hui, et demain il n’est plus à nous. La vertu au contraire est à nous, car elle ne se perd pas comme l’argent, elle reste tout entière à ceux qui la possèdent. Acquérons-la donc et méprisons les richesses, afin que nous puissions être trouvés dignes des vrais biens. Ainsi soit-il.