Ne nous méprisons donc point les uns les autres. C’est une mauvaise école que celle où l’on s’accoutume à mépriser Dieu. Or, mépriser les autres, c’est mépriser Dieu qui nous commande d’avoir des égards les uns pour les autres. Éclaircissons ceci par un exemple. Caïn méprisa son frère, et bientôt après il méprisa Dieu. Voyez la réponse insolente qu’il lui fit : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Esaü de même méprisa son frère, ensuite il méprisa Dieu. C’est pourquoi Dieu dit : « J’aime Jacob et je hais Esaü ». (Rom. 9,13) Saint Paul aussi a dit : « Que personne ne soit fornicateur et profane comme Esaü ». (Héb. 12,16). Les frères de Joseph le méprisèrent et ils méprisèrent aussi Dieu. Les Israélites méprisèrent Moïse et méprisèrent Dieu ensuite. Après avoir méprisé le peuple, les fils d’Héli méprisèrent aussi Dieu. Voyons maintenant le contraire par d’autres exemples. Abraham eut de la considération pour son neveu, il en eut infiniment plus pour Dieu, comme il le montra par le sacrifice de son fils et par toutes ses autres vertus. Abel fut doux et humble envers son frère, il le fut encore plus envers Dieu. Ainsi ne nous méprisons point, mais rendons-nous un honneur réciproque, afin de nous accoutumer à honorer Dieu. Celui qui traite insolemment les hommes n’épargnera pas Dieu même. Mais lorsque l’avarice, l’amour-propre et l’orgueil se rencontrent ensemble dans un homme, la perte n’est-elle pas inévitable ? Oui, c’en est fait de lui, et il se plonge dans la fange de tous les péchés. « Ils sont ingrats », dit l’apôtre. Comment l’avare serait-il reconnaissant ? À qui saura-t-il gré de quoi que ce soit ? À personne. Il regarde tous les hommes comme autant d’ennemis, puisqu’il voudrait prendre le bien de tous. Quand vous lui donneriez tout ce que vous possédez, il ne vous en saurait aucun gré, il serait fâché que vous n’eussiez pas davantage à lui donner. Quand vous auriez trouvé le secret de le rendre maître du monde entier, il n’en aurait point de reconnaissance. Il croirait n’avoir rien reçu. Son désir est insatiable ; car c’est un désir de malade ; or les désirs de malades ne se peuvent assouvir.
2. Un homme brûlé de la fièvre peut-il éteindre le désir qu’il a de boire ? Plus il boit, plus il veut encore boire. Ainsi en est-il de l’homme passionné pour les richesses jusqu’à la folie, sa passion ne veut jamais être satisfaite. Quoi que vous fassiez pour le contenter, il ne sera jamais satisfait et il ne vous saura aucun gré de vos sacrifices. Sa reconnaissance, il ne saurait l’accorder qu’à celui qui lui donnerait tout ce qu’il désire. Or, qui lui donnera tout ce qu’il désire, puisque ses désirs sont sans bornes ? Il ne témoignera donc de reconnaissance à personne au monde. Il n’y a donc rien de plus ingrat qu’un avare. Il n’y a rien de plus insensé que l’homme cupide. Il semble qu’il ait déclaré la guerre à tout le genre humain. Il s’indigne qu’il y ait des hommes. Il voudrait être seul au monde pour tout posséder seul. Voici quels sont ses rêves : Oh ! si un tremblement de terre pouvait ruiner la ville et que je survécusse seul au désastre pour être maître de tout ! S’il arrivait donc une peste qui détruisît tout hormis l’argent ! S’il survenait un déluge, si les eaux de la mer pouvaient se précipiter sur la terre ! Voilà les souhaits qu’il forme et mille autres pareils. Il ne lui vient à l’esprit aucune pensée charitable. Il ne s’occupe de rien que de tremblements de terre, de tonnerres, de guerres, de pestes, il souhaite que tous ces maux arrivent. Âme malheureuse, dis-moi, esclave plus vil que les esclaves, si tout était changé en or, est-ce l’or qui t’empêcherait de mourir de faim ? Si un tremblement de terre, comblant tes vœux, détruisait tout ce qui est sur la surface de la terre, tu périrais toi-même, puisque tu ne trouverais plus sur la terre désolée de quoi soutenir ton existence. Supposons qu’il n’y ait plus un seul homme sur la terre, et que tout l’or, tout l’argent qui s’y trouve afflue de lui-même dans votre maison, supposons, supposition folle comme leurs rêves, mais enfin supposons que la richesse de tous ceux qui ne sont plus, que leur or, que leur argent, que leurs étoffes de soies ou brochées d’or, que tout cela vienne dans vos mains : que gagneriez-vous ? Pourriez-vous éviter la mort, lorsque vous n’aurez plus personne pour cuire votre pain, pour semer vos champs, pour vous défendre des bêtes ? Les démons, dans cette solitude effroyable, rempliraient votre âme de mille frayeurs ; ils la possèdent dès maintenant, mais alors ils vous feraient tourner l’esprit et mourir enfin.
Je voudrais, dites-vous, qu’il restât quelques laboureurs et quelques boulangers pour me servir. Mais s’ils restaient avec vous, ils voudraient partager ces biens avec vous. Vous ne