Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/399

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4. En effet, l’homme qui sait les Écritures comme il faut les savoir, ne se scandalise jamais ; quoi qu’il arrive, il supporte tout avec un généreux courage, tantôt il se réfugie dans la foi et dans la divine providence dont les secrets sont souvent impénétrables, tantôt aussi il découvre les raisons des événements, guidé par les exemples qu’il voit dans les Écritures. C’est du reste la preuve d’un véritable savoir, que de ne pas céder à une curiosité superflue, que de ne pas vouloir tout savoir. Et si vous voulez, je m’expliquerai par un exemple. Supposons un fleuve, ou plutôt supposons des fleuves, (ma supposition n’est pas gratuite, elle est conforme à la vérité) ; ils ne se trouvent pas tous également profonds ; les uns le sont plus, les autres moins. Les uns peuvent noyer dans leurs eaux profondes et emporter dans leurs tourbillons les imprudents qui s’y aventurent ; les autres sont faciles à traverser sans danger. C’est donc une grande sagesse que de ne pas s’exposer également à tous les fleuves, et ce n’est pas fine preuve médiocre de science que de vouloir bien ne pas sonder toutes les profondeurs. Vouloir en effet affronter tous les endroits d’un fleuve, c’est montrer qu’on ignore les propriétés des fleuves. Si la facilité avec laquelle vous avez passé un endroit peu profond vous enhardit à tenter le passage aux endroits profonds, vous périrez infailliblement. Il en est ainsi de Dieu ; vouloir pénétrer tous les mystères de la divinité, et s’aventurer dans cette recherche, c’est montrer qu’on ignore entièrement ce qu’est Dieu. Encore ma comparaison est-elle insuffisante, car au lieu que dans les fleuves la plupart des endroits sont sûrs et que les tourbillons et les endroits profonds tiennent moins de place que les autres, en Dieu c’est tout le contraire qui est vrai, il est presque partout insondable, et il n’y a pas moyen de suivre la trace de ses œuvres. Pourquoi nous précipiter dans ces abîmes ? Sachez seulement que Dieu mène tout par sa providence, qu’il pourvoit à tout, qu’il nous laisse notre libre arbitre, qu’il fait ou permet tout ce qui arrive ; qu’il ne veut pas le mal ; que tout ne se fait pas par sa seule volonté, mais aussi par la nôtre ; que tout le mal se fait par la nôtre seule ; que tout le bien s’accomplit et par notre volonté et par sa grâce ; enfin que rien ne lui est caché. C’est pourquoi il opère tout le bien.

Instruit de ces vérités fondamentales, instruisez-vous ensuite de ce qui est bien, de ce qui est mal, et de ce qui est indifférent : la vertu est un bien, le péché est un mal ; les richesses ou la pauvreté, la mort ou la vie sont des choses indifférentes. De ces instructions passez à celles-ci : Que les bons sont affligés afin d’être couronnés, et les méchants afin de recevoir la peine qu’ils méritent ; mais que tous les méchants ne sont point punis en ce monde, de peur que les hommes ne croient point la résurrection ; que tous les bons ne sont pas non plus dans l’affliction, de peur que le crime ne passe pour une chose louable et qu’il n’usurpe les hommages dus à la vertu. Que ce soient là vos règles, vos principes, et faites ce que vous voudrez ; pourvu que vous les suiviez, vous ne courrez aucun risque. De même qu’il y a chez le grammatiste un nombre de six mille lettres qui servent à toutes espèces d’opérations, et qu’au moyen de ce nombre de six mille lettres on peut, comme le savent ceux qui ont appris à calculer par cette méthode, faire toutes les divisions et toutes les multiplications possibles sans risquer de se tromper ; de même celui qui saura bien ces règles, que je vais répéter plus brièvement, pourra s’avancer hardiment dans la vie sans heurter à aucune pierre de scandale. Quelles sont donc ces règles ? Que la vertu est un bien, que le péché est un mal, que les maladies, la pauvreté, les embûches qu’on nous tend, les calomnies qui attaquent notre réputation, et autres disgrâces de ce genre, sont des choses indifférentes ; que généralement les justes sont ici-bas dans l’affliction ; que s’il y en a qui coulent des jours exempts d’affliction, c’est pour empêcher que la vertu ne soit odieuse ; que les méchants sont ici-bas dans la joie, parce que Dieu se réserve de les punir ailleurs ; que s’il y en a quelques-uns que Dieu punit dès cette vie, c’est pour empêcher que le péché ne passe pour un bien, et qu’on ne croie qu’il demeurera impuni ; que tous ne sont pas punis afin de ne pas discréditer le dogme de la Résurrection. Que les hommes les plus vertueux ne sont pas sans quelques fautes qu’ils expient dès ici-bas par leurs souffrances ; que les plus pervers peuvent avoir fait quelques bonnes actions dont Dieu les récompense en ce monde afin de n’avoir plus qu’à les châtier dans l’autre ; que les actes de Dieu sont la plupart incompréhensibles ; qu’il y a entre Dieu et nous une distance infinie. Ayons sans