Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/45

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en puissance à son Père : dès lors, comment aurait-il usurpé l’égalité avec Dieu le Père ? Une nature inférieure ne peut, quelque usurpation qu’elle fasse, devenir une nature supérieure. Ainsi l’homme ne pourra jamais se faire l’égal de l’ange ; le cheval ne pourrait, le voulût-il, arriver à être selon la nature égal à l’homme.

Mais, laissant ce moyen, j’ai une question à vous faire. Par cet exemple de Jésus-Christ, que veut établir saint Paul ? Vous me répondrez qu’il veut conduire les Philippiens à l’humilité. Alors, pourquoi nous proposer ce modèle ? Dès qu’on veut exhorter à l’humilité, on ne s’exprime pas ainsi. On ne dit pas : Soyez humble, n’ayez pas de vous-même des sentiments aussi avantageux que de vos égaux ; prenez modèle sur cet esclave ; il ne s’est pas révolté contre son maître ; imitez-le ! À un tel propos, vous répondriez : Ce n’est pas là un type d’humilité ! Sa révolte serait de l’arrogance ! – Or, apprenez, impie, dont l’enflure est diabolique, apprenez ce que c’est qu’humilité :

En quoi consiste l’humilité ? À n’avoir que d’humbles sentiments. Or, l’homme humble par nécessité n’a pas pour cela d’humbles sentiments ; le vrai humble s’humilie lui-même. Je veux vous éclaircir ce point, appliquez-vous. Si, pouvant avoir des sentiments élevés de soi-même, un homme n’en veut avoir que des idées modestes, il est humble de cœur. Mais quiconque n’a d’humbles pensées que parce qu’il ne peut en avoir de magnifiques, n’est pas humble très certainement. Par exemple, que l’empereur se soumette à son sujet, voilà l’humilité de cœur, puisqu’il descend de son rang suprême ; que le sujet s’incline devant lui, au contraire, il n’est pas humble pour cela ; car il ne s’est pas abaissé d’une plus haute position. Il n’y a vraiment aucune place au sentiment de l’humilité, si vous ne pouvez même pas être humble. Qu’un homme soit rabaissé malgré lui et par nécessité, cette soumission, bonne en elle-même, n’est pas attribuable à ses sentiments, à sa volonté, mais à la nécessité. Or ταπεινοφροσύνη, est un mot qui, par lui-même, dit abaissement volontaire de l’esprit.

3. Voudrez-vous, dites-moi, louer pour son amour de la justice, l’homme qui se contient dans les limites de ses propriétés, mais qui n’a aucun moyen de ravir celle d’autrui ? Non ; et pourquoi ? c’est que la nécessité, l’impossible empêche qu’on ne juge de sa volonté. Dites-moi encore : vanterez-vous, comme tranquille et paisible, le citoyen qui reste dans la vie privée, lorsqu’il ne pourrait aucunement s’emparer d’un pouvoir, d’un trône ? Non encore, il n’y a pas place au mérite. Car le mérite, sachez-le, ignorants, ne consiste pas à s’abstenir en pareil cas, mais à pratiquer son devoir. L’abstention ainsi entendue ne mérite pas le blâme, mais n’arrive pas non plus jusqu’à mériter l’éloge. Voyez plutôt comment Jésus-Christ lui-même motive la louange des élus : « Venez, les bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ». (Mat. 25,34-35) Il ne dit pas : Car vous n’avez pas désiré le bien d’autrui ; car vous n’avez pas volé ; ce serait trop peu de chose ; mais : Vous m’avez vu avoir faim, et vous m’avez nourri. – Qui donc a jamais parlé de la sorte de ses amis ou de ses ennemis ? Quelqu’un a-t-il jamais loué Paul, mais que dis-je ? Paul ! Quelqu’un a-t-il jamais fait d’un homme vulgaire, l’éloge que vous, hérétique, vous faites de Jésus-Christ, quand vous dites : Il n’a pas usurpé une dignité qui ne lui appartenait pas ? – Louer quelqu’un de cette façon, c’est lui donner certificat de malice achevée. Pourquoi ? C’est qu’on donne ordinairement aux malfaiteurs des compliments négatifs, tels que celui-ci : « Que celui qui volait, ne vole plus désormais ». (Eph. 4,28) On ne parle pas sur ce ton aux honnêtes gens. On ne s’avise pas de louer celui qui n’a pas ravi une dignité qui ne lui appartenait pas : quelle folie serait-ce de le vanter ainsi ? D’ailleurs… Mais appliquez-vous, je vous prie, mon raisonnement se prolonge… Qui voudrait, surtout de cette manière, exhorter à l’humilité ? Un exemple ne doit-il pas toujours être plus grand et plus beau que la chose même, objet de votre exhortation ? Ira-t-on jamais le prendre dans une sphère obscure et inférieure ? Non. Voyez plutôt Jésus-Christ exhortant à faire du bien même à ses ennemis ; il se sert d’un grand exemple, celui du Père « qui fait lever son soleil sur les bons et « sur les méchants, et tomber sa pluie sur le « juste et sur l’injuste ». (Mat. 5, 45)Veut-il exhorter à la douceur, il se pose en exemple : « Apprenez de moi que je suis doux et humble