Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/458

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aurait créés longtemps auparavant. Mais s’il était tout lui-même sans nous, et si nous n’avons été créés que longtemps après, c’est qu’il nous a créés sans nul besoin. Il a fait pour nous le ciel, la terre, la mer, et tout ce qui existe. Ne sont-ce point là, dites-moi, des preuves de sa bonté ? Certes, on pourrait s’étendre longuement sur ce sujet, mais pour nous resserrer, citons seulement ces paroles : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les gens de bien, il envoie sa pluie sur les justes et sur les injustes ». (Mt. 5,35) N’est-ce point là de la bonté ? – Non, me dira-t-on. Et en effet je me rappelle qu’un jour je demandais à un marcionite si ce n’était point là de la bonté, et qu’il me répondit : S’il ne nous demande pas compte de nos péchés, il est bon, mais il ne l’est pas, s’il nous en demande compte. Cet hérétique n’est pas ici, mais je vais rapporter ce que j’ai dit alors, et j’en dirai plus encore : car j’ai plus de raisons qu’il n’en faut pour montrer qu’il ne serait pas bon, s’il ne nous demandait pas compte de nos fautes, et que, par cela même qu’il en demande compte, il est bon. Dites-moi je vous prie, s’il ne nous demandait pas compte de nos péchés, est-ce que notre vie serait encore une vie humaine ? Ne descendrions-nous pas au rang des bêtes ? En effet, lorsque, en dépit de la crainte toujours présente d’avoir à rendre nos comptes et d’être jugé au dernier jour, nous l’emportons sur les monstres marins, en nous dévorant les uns les autres, sur les lions et les loups en nous ravissant les biens les uns des autres ; que serait-ce donc si Dieu n’exigeait plus de nous aucun compte, et que nous en fussions persuadés ? De quelle confusion, de quel trouble notre vie ne serait-elle pas pleine ? Que serait ce fameux labyrinthe dont parle la fable, en comparaison du désordre qui régnerait dans le monde ? Ne verrions-nous pas mille iniquités, mille dérèglements ? Qui aurait encore du respect pour son père, des égards pour sa mère ? Est-il un seul plaisir, un seul vice dont on voulût s’abstenir ? Je n’exagère pas, et j’essaierai de vous le prouver par l’exemple d’une seule maison.
Vous, qui mettez – en question cette vérité, vous avez des esclaves ; eh bien, si je leur persuadais qu’ils peuvent secouer le joug, se porter aux derniers outrages sur le corps de leurs maîtres, emporter tous Nos biens avec eux, bouleverser tout de fond en comble, engager même une guerre servile, et cela sans que les maîtres emploient la menace ou le châtiment, sans qu’ils se vengent, sans qu’ils les affligent même en paroles, croyez-vous que ce serait de la bonté ? Moi je dis que ce serait une extrême cruauté, non seulement parce que cette inopportune bonté exposerait la femme et les enfants du maître, mais encore parce que les esclaves eux-mêmes se perdraient avant de perdre les autres. Ils s’adonneraient au vin, ils seraient débauchés, impudiques, et plus déraisonnables que les bêtes. Est-ce faire preuve de bonté, dites-moi, que de fouler aux pieds, les nobles sentiments des âmes, que de les perdre eux et nous avec eux ? Voyez-vous maintenant que c’est être bon que de nous demander compte de nos péchés. Mais pourquoi parler des esclaves ? Un homme libre a des fils : qu’il leur permette de tout oser, sans les punir ; dites-moi, ne deviendront-ils pas pires que les plus ; pervers ? Ainsi, lorsque parmi les hommes, punir c’est être bon,-ne pas punir c’est être cruel, n’en sera-t-il pas de même pour Dieu ? C’est donc parce qu’il est bon qu’il a préparé d’avance pour les coupables les peines de l’enfer.
Voulez-vous que je vous montre encore un autre effet de sa bonté ? Il est bon non seulement parce qu’il tient prêt l’enfer, mais encore parue qu’il ne souffre pas que les gens de bien deviennent méchants. Si en effet tous les hommes obtenaient la même récompense, tous seraient méchants ; mais il n’en est pas ainsi, et c’est une grande consolation pour ceux qui sont vertueux. Écoutez en effet les paroles du prophète : « Le juste se réjouira quand il aura vu la vengeance, il lavera ses mains au sang du méchant ». (Ps. 57,10) Ce n’est pas que le châtiment le fasse bondir de joie, non, mais craignant de souffrir les mêmes peines, il corrigera sa conduite. Cela prouve donc encore une grande sollicitude pour nous. – Soit, dira-t-on, mais il suffisait de menacer, et il ne faudrait pas punir. – Lorsqu’il punit, tu prétends que ce ne sont que des menaces, et tu t’en autorises pour être indifférent : s’il n’y avait en réalité que des menaces, ne deviendrais-tu pas plus tiède encore ? Les habitants de Ninive n’eussent point fait pénitence, s’ils avaient su que Dieu s’en tiendrait aux menaces ; mais comme ils firent pénitence, ils arrêtèrent le bras du Seigneur. Veux-tu donc qu’il n’y ait que des menaces ? Cela est en ton