Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/48

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désigne même pas. Ce sanglier, cette bête solitaire et sauvage, c’est le démon et ses puissances infernales. « Solitaire et sauvage sanglier » désigne et dépeint son impureté et sa férocité. Pour donner une image de ses instincts rapaces, les saints livres le comparent au « lion qui rôde en rugissant, cherchant qui il pourra dévorer ». (1Pi. 5,8) Pour nous signaler ses poisons dangereux et mortels, ils l’appellent serpent et scorpion. « Foulez aux pieds », est-il dit, « les serpents, les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi ». (Lc. 10,19) Pour nous faire comprendre à la fois son poison et sa force, ils le nomment dragon ; ainsi dans ce passage : « Le dragon que vous avez fait pour s’y jouer ». (Ps. 103,26) Au reste, dragon, serpent, aspic, sont des noms que l’Écriture lui donne partout ; comme à une bête tortueuse, d’aspects variés et de force redoutable, qui agite, trouble, bouleverse toutes choses dans les hauteurs comme dans les abîmes.
Toutefois ne craignez pas, ne perdez pas courage ; veillez seulement, et il ne sera plus qu’un faible passereau. « Foulez aux pieds », a dit le Seigneur, « les serpents et les scorpions ». Lui-même, si nous le voulons, le jettera sous nos pieds comme une vile poussière.
5. Mais qu’il est ridicule, ou plutôt qu’il est malheureux de voir qu’un être destiné à ramper sous nos pieds, plane en vainqueur sur nos têtes ! Et comment cela se fait-il ? Par notre faute ! Il grandit, si nous voulons ; et si nous voulons, il se rapetisse. Soyons bien à nos intérêts, serrons-nous autour de notre Roi : dès lors, il s’amoindrit, et n’a pas plus de pouvoir contre nous qu’un petit enfant. Mais si nous nous éloignons de notre Roi suprême, il se redresse, il frémit, il aiguise ses dents homicides, parce qu’il nous trouve privés de ce puissant auxiliaire. Il n’attaque, en effet, que dans la mesure que Dieu permet. S’il n’osait, par exemple, envahir un troupeau de pourceaux, avant que le Seigneur ne lui en eût donné permission, bien moins le ferait-il sur les âmes humaines. Dieu permet ses attaques, d’ailleurs, ou pour instruire, ou pour punir, ou même pour glorifier davantage ses élus. Voyez-vous, par exemple, que loin de provoquer Job, le démon n’osait même approcher de lui, qu’il le craignait, qu’il tremblait ?
Mais que parlé-je de Job ? Judas, Judas lui-même ne devint la proie du démon et son entière conquête ; que quand Notre-Seigneur eut retranché ce traître du collège sacré des apôtres. Jusque-là Satan le tentait au-dehors, et n’osait faire irruption jusque dans son âme. Mais dès qu’il le vit retranché du saint bercail, il l’attaqua plus furieusement qu’un loup ne ferait jamais, et il ne lâcha cette proie qu’après lui avoir donné une double mort.
Ce douloureux chapitre a été, du reste, écrit pour notre instruction. Ne demandez pas ce que nous avons gagné à savoir que Jésus-Christ ait été trahi par l’un des douze intimes quel est ici notre profit, quel est notre avantage ? Il est grand, vous répondrai-je. Si nous comprenons bien le motif, qui détermina ce perfide à un pareil complot, nous veillerons à ne pas nous laisser entraîner par une cause semblable.
Comment donc Judas en vint-il à se perdre ? Par avarice. Il était voleur, et cette maladie le rendit fou au point de lui faire livrer Notre-Seigneur pour trente pièces d’argent. Quelle plus honteuse folie ! rien au monde n’égalait, rien ne pouvait valoir l’objet sacré de cette trahison ; et « Celui » devant qui les nations sont comptées comme un néant, il le livre pour trente pièces d’argent ! Tant est lourde la tyrannie de l’avarice, tant elle est capable de dégrader une âme ! L’ivresse même produit dans l’âme un délire moins grand que l’avarice. La folie, l’idiotisme frappent moins fort que la passion de l’argent. Car, dis-moi, aveugle apôtre, quelle raison a déterminé ta perfidie ? Obscur et inconnu, tu fus, par le Seigneur, appelé, placé même au rang des douze ; il te communiqua sa doctrine, il te promit des biens inappréciables, il te fit produire des miracles même ; sa table, ses voyages, sa conversation, il partageait tout avec toi, comme avec tes collègues de l’apostolat. Tant de bienfaits ne suffirent donc pas à t’arrêter ? Quel si grand mobile alors te rendit traître ? Avais-tu, scélérat, le moindre sujet de plainte ; ou plutôt de quels biens ne t’avait-il pas accablé ? Connaissant ton infâme dessein, il ne cesse de te donner tout ce qu’il a. Souvent il répète : « Un de vous me trahira » (Mt. 26,21) ; souvent il te désigne, en t’épargnant toujours ; il sait ce que tu es, et ne te chasse pas du sacré collège. Il te supporte encore, et comme si tu étais toujours un membre légitime de ce corps