Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/49

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vénérable, un des douze intimes, il t’honore, il te chérit. Enfin, ô crime, tu le vois ceint d’un linge, et de ses pures mains lavant tes pieds impurs ; rien ne t’arrête ; tu continues à voler le bien des pauvres ; et le Seigneur le supporte encore pour t’empêcher de faire le dernier pas ; mais rien ne peut changer ta détermination. Et pourtant, quand tu serais une bête féroce, une pierre même, tant de bienfaits reçus, tant de miracles opérés, cette doctrine sublime de l’Évangile enfin, ne devait-elle pas te fléchir ? Hélas ! jusque dans cette dégradation bestiale, le Seigneur te poursuit de ses appels ; malgré cette pétrification de ton cœur plus dur que les rochers, ses œuvres merveilleuses t’invitent au retour : mais en vain ; tout cela ne peut amender Judas.

Peut-être, mes frères, cet excès de folie dans un traître vous étonne ; ah ! que sa plaie honteuse vous fasse trembler ! La cupidité, l’amour de l’argent l’a fait ce que vous voyez. Arrachez de vos cœurs cette passion, qui enfante de telles maladies de l’âme, qui fait les impies, qui nous conduirait, même après mille bienfaits de la bonté de Dieu, à le méconnaître et à le renier. Arrachez cette passion, je vous en supplie ; ce n’est pas une maladie légère ; elle sait produire mille morts très cruelles. Nous avons vu le mal de Judas : craignons d’y succomber nous-mêmes. Son histoire a été écrite pour nous préserver de tels malheurs ; tous les évangélistes l’ont racontée, pour nous apprendre le désintéressement. Fuyez donc, et de loin, le vice contraire : l’avarice se reconnaît non seulement dans le désir de beaucoup d’argent, mais dans le simple désir de l’argent. C’est déjà avarice grave, que de demander au-delà du besoin. Sont-ce des talents d’or qui ont poussé Judas à la trahison ? Trente deniers lui ont suffi pour livrer le Seigneur. Ne vous souvient-il plus de ce que j’ai dit déjà, que le désir exagéré de l’argent se manifeste non pas seulement en acceptant une somme considérable, mais plus encore en recevant une somme chétive ? Voyez quel grand crime commet Judas pour un peu d’or ! que dis-je pour un peu d’or, pour quelques pièces d’argent !

6. Non, non, jamais l’avare ne contemplera Jésus-Christ face à face ; c’est là, je le répète, une impossibilité. L’avarice est la racine de tous les péchés. Que s’il suffit d’un seul, pour perdre la gloire éternelle, où donc sera placé celui qui apportera, au jugement de Dieu, la racine de tous les péchés ? Le serviteur de l’argent ne peut être le vrai serviteur de Jésus-Christ. C’est lui-même qui a proclamé cette incompatibilité absolue. « Vous ne pouvez », a-t-il dit, « servir Dieu et Mammon » ; et encore : « Nul ne peut servir deux maîtres » (Mt. 6,24), car leurs volontés sont contraires. Jésus-Christ vous dit : Pitié pour les pauvres ! Mammon reprend : Prenez ce qu’ils possèdent. Jésus-Christ : Donnez-leur ce que vous avez ! Mammon : Ravissez même ce qu’ils ont. Voyez-vous le combat ? Voyez-vous la guerre ? Faut-il vous montrer comment personne ne peut servir ces deux maîtres, mais comment l’un des deux sera nécessairement méprisé ? N’est-ce pas là une vérité d’une clarté qui n’a pas besoin de commentaire ? Comment ? c’est qu’en fait nous voyons Jésus-Christ méprisé et Mammon en honneur ! Sentez-vous déjà l’amertume de ces paroles ? Et si les paroles sont amères, que ne sont pas les faits eux-mêmes ? mais la maladie qui nous travaille, nous empêche de sentir la gravité des faits. Dès que nous commencerons à nous dégager des étreintes de cette passion, notre esprit jugera sainement des choses. Mais une fois sous l’empire de cette fièvre de l’or, notre âme se complaît dans son mal, perd absolument la faculté de juger, et voit se corrompre le tribunal même de sa conscience. Jésus-Christ prononce : « Si quelqu’un ne renonce pas à tout ce qu’il possède, il ne peut être mon disciple ». (Lc. 14,33) Mammon réplique : Arrache le pain à l’indigent. Jésus-Christ : Habillez sa nudité ! Mammon : Volez-lui jusqu’à ses haillons. Jésus-Christ : Ne méprisez pas votre propre sang et ceux de votre maison. Mammon : Pour ton sang et ta maison, point de pitié ; quand ce serait un père, quand ce serait une mère, méprise-les. Et que parlé-je de père et de mère ? Sacrifie, je le veux, jusqu’à ton âme. Il commande, on l’écoute. Hélas ! hélas ! ce maître qui vous impose des lois si cruelles, si inhumaines, si sauvages, nous trouve obéissants, plutôt que Celui dont le joug est léger et les commandements si salutaires. De là, l’enfer ; de là, le feu ; de là ce fleuve de flammes et ce ver qui ronge éternellement.

Je le sais : beaucoup ici ne sont point charmés de nous voir traiter ce sujet menaçant ; mais moi-même, c’est malgré moi que j’y touche :