Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/511

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est comme vous, un homme libre, qu’il partage vos titres de noblesse, que tout est commun entre lui et vous ; hélas ! et souvent, vous ne le faites pas même l’égal de vos chiens, que vous rassasiez de pain, tandis que lui s’endort avec la faim ; souvent cet homme libre est rabaissé, dégradé au-dessous de vos esclaves. – Mais, direz-vous, ceux-ci nous rendent service. En quoi ? Ils vous sont utiles ? Alors que direz-vous si je vous montre que, bien plus qu’eux, l’indigent travaille pour vos intérêts ? Car c’est lui qui sera votre défenseur au jour du jugement ; c’est lui qui vous arrachera aux flammes dévorantes. Quel service pareil vous rendent jamais vos esclaves ? Quand Tabitha mourut, qui donc la ressuscita, de ses esclaves nombreux ou des pauvres mendiants ? Mais vous, de cet homme libre vous ne voulez pas faire l’égal même d’un esclave. Le froid est intense, et le pauvre git, couvert de haillons, mourant les dents serrées et grinçantes ; horrible tableau fait pour, émouvoir ! Et vous, bien réchauffé, bien repu, vous passez ! Comment voulez-vous que Dieu vous sauve, quand vous serez sous le poids du malheur ?
Souvent vous osez dire : « Si c’était moi, si j’avais surpris quelqu’un à m’offenser beaucoup, volontiers j’aurais pardonné, et Dieu ne pardonne pas ! » Oh ! ne tenez point ce langage ; car voici un homme qui n’a aucunement péché contre vous, vous pouvez le sauver, et vous le méprisez. Si vous le méprisez, comment Dieu vous pardonnera-t-il, à vous qui péchez contre sa Majesté sainte ? De pareils méfaits ne méritent-ils point l’enfer ? Mais faut-il s’en étonner ? Souvent vous prodiguez à un cadavre privé de sentiment, incapable d’apprécier cet honneur funèbre, vous prodiguez, dis-je, les vêtements les plus variés, les tissus d’or et de pourpre ; et cet autre corps qui souffre ; qui est déchiré, torturé, supplicié par la faim et le froid, vous le méprisez ; vous accordez plus à la vaine gloire qu’à la crainte de Dieu. Et plût au ciel que votre dureté n’allât pas plus loin. Mais, dès qu’il s’approche, ce pauvre, vous l’accusez aussitôt : pourquoi, dites-vous, pourquoi ne travaille-t-il pas ? Pourquoi nourrir un oisif ? Répondez-moi, à votre tour : ce que vous possédez vous-même, le devez-vous à votre travail ? ne – l’avez-vous pas reçu en héritage de vos pères ? En supposant même que vous travaillez, pourquoi cette insulte au prochain ? l’entendez-vous pas ce que dit saint Paul : « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger » ; voilà ce qu’il dit ; mais il ajoute aussitôt : « Pour vous, faites le bien, sans jamais vous lasser ».
4. Mais que répondez-vous – Ce pauvre est un fripon. – Que dites-vous, malheureux ? Quoi pour un pain, pour un vêtement vous l’appelez fripon ! – Oui, parce qu’il vend ce qu’il reçoit. – Et vous, disposez-vous toujours sagement de ce que vous avez ? Puis, tons les pauvres le sont-ils pour cause de paresse ? N’en est-il aucun qui le soit par suite d’un malheur, d’un naufrage, par exemple, ou d’un vol, ou d’un procès injuste, ou d’aventures périlleuses, ou de maladies, enfin par suite de tout autre accident ? Et dès que nous entendrons quelqu’un déplorer une semblable infortune ; regarder, pauvre et nu, vers, le ciel ; porter inculte sa longue chevelure, me couvrir de haillons, lui jetterons-nous aussitôt les noms d’imposteur, de vagabond, de trompeur ? N’êtes-vous pas honteux de prodiguer cette appellation odieuse ? Ne lui donnez rien et ne l’insultez pas. – Mais il a de quoi, me dites-vous, et il joue la misère. – Cette accusation retombe sur vous, et non sur lui. Il sait trop qu’il a affaire à des êtres cruels, à des bêtes féroces plutôt qu’à des hommes ; il sait qu’en vain voudrait-il employer le langage le plus touchant, parce qu’il ne gagnerait personne ; il lui faut donc nécessairement s’envelopper de dehors plus misérables encore que sa condition même, pour vous briser le cœur. Qu’un homme ose implorer notre charité avec un vêtement honnête : Voilà bien un trompeur, disons-nous ; il se présente ainsi pour faire croire qu’il est d’une condition distinguée. Qu’il se montre avec des dehors tout opposés, nous le blâmons encore. Que feront donc ces malheureux ? O cruauté ! ô insensibilité ! Pourquoi montrent-ils leurs membres mutilés ? La faute en est à vous. Si nous étions charitables, ils n’auraient pas besoin de semblables moyens ; s’ils pouvaient toucher notre cœur au premier abord, ils n’auraient pas recours à ces tristes moyens. Qui, en effet, serait assez misérable pour, se plaire à jeter les hauts cris, à se conduire de cette façon dégradée, à pleurer ainsi en public, à se lamenter avec une épouse toute nue, à se couvrir de cendres avec ses enfants ? Ces accessoires sont pires que la pauvreté même. Et toutefois ces spectacles, loin de nous inspirer la pitié pour eux, nous fournissent contre eux un prétexte d’insulte. Et nous serons, à notre tour, indignés contre Dieu, parce qu’il n’exauce pas nos prières ? Nous serons au désespoir de ne pouvoir le fléchir par nos supplications ? Et nous ne frissonnons pas d’épouvante, frères bien-aimés !
Mais, direz-vous, j’ai donné souvent. – Eh bien ! ne mangez-vous pas aussi tous les jours ? Et bien que vos enfants souvent demandent, les repoussez-vous ? O impudence ! Vous appelez le pauvre impudent ! Vous, qui êtes un ravisseur, vous n’êtes pas impudent sans doute ; mais lui, l’humble suppliant, il est impudent, parce qu’il vous demande du pain ! Ne réfléchissez-vous donc pas aux exigences de l’estomac ? Est-ce que vous ne faites pas tout au monde pour lé satisfaire ? Ne négligez-vous pas pour lui votre religion ? Le ciel, le royaume des cieux, ne vous est-il pas proposé ? Mais pour contenter la tyrannie de l’appétit, loin d’en mépriser les exigences, vous supportez tout ; voilà l’impudence !
Ne voyez-vous pas ces vieillards mutilés ou boiteux ? – Mais, ô délire ! Celui-ci, m’objectez-vous, prête à usure tant d’écus ; d’or ; tel autre, tant ; – et avec cela il mendie ! – Vous contez là des fables, des sottises, des folies, dignes d’enfants sans intelligence ; les nourrices, en effet, leur font de semblables contes. Eh bien, moi ! je n’y crois pas, je refuse d’y croire, et absolument. Quoi ! cet homme prête à usure, et comblé de richesses il mendie ? Expliquez-moi donc pourquoi ? Est-il chose plus honteuse que de mendier ? Jusqu’à quand serons-nous cruels et inhumains ? Car enfin,