Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/52

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« usurper ». Sa souveraineté, en effet, ne venait ni de rapine, ni de donation faite par autrui ; elle était sa nature, et par suite immuable et assurée. Aussi n’hésite-t-il pas, roi suprême, à revêtir l’extérieur d’un de ses sujets. Un tyran craint de dépouiller à la guerre son manteau de pourpre ; un roi s’en défait avec confiance. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas usurpé le commandement. Il est loin de ressembler à l’usurpateur qui ne s’en dépouille jamais ; il le dissimule et le cache, parce qu’il le possède par nature et qu’il ne peut le perdre. Je conclus : L’égalité avec Dieu n’était pas pour Jésus-Christ une usurpation, mais bien sa nature même ; aussi s’est-il anéanti.
Mais où sont ceux qui prétendent qu’il subit alors une nécessité, qu’il fut réduit à se soumettre ? Il s’anéantit « lui-même », a dit saint Paul ; il s’humilia « lui-même », il « se fit » obéissant jusqu’à la mort. Comment il « s’anéantit », l’apôtre le montre : « en prenant la forme de l’esclave, en se faisant à la ressemblance des hommes, étant reconnu homme par tout son extérieur ». Il se rappelle qu’il vient d’écrire : « Que chacun croît les autres au-dessus de soi ». Aussi ajoute-t-il de Jésus-Christ lui-même : « Il s’est anéanti ». En effet, s’il avait subi l’abaissement, mais non spontanément, mais non d’après sa volonté même, ce n’eût pas été un acte d’humilité. S’il n’a pas su, par exemple, que ce sacrifice lui était demandé, cette ignorance en lui est une imperfection. A-t-il seulement attendu, faute de la connaître, l’heure où il devait l’accomplir ? Encore, ici, c’est une ignorance du temps. Et s’il a connu l’obligation de le faire et l’heure de l’accomplir, pourquoi direz-vous qu’il ait été contraint de se soumettre ? – Pour montrer, direz-vous, la prééminence de son Père sur lui. – Mais alors il aboutissait à montrer non pas la prééminence de son Père, mais sa propre bassesse. Car le nom de Père ne suffit-il pas pour indiquer la prérogative du Père ? Or, à cette seule exception près qu’il n’est point le Père, nous trouvons dans le Fils identité complète et en tout avec le Père. Ce titre de Père, évidemment, ne peut passer au Fils sans absurdité. Mais, je le répète, à ce titre seul excepté, tout ce que possède le Père appartient au Fils en toute communauté.
2. Les marcionites, prenant le texte au pied de la lettre, aiment à rappeler qu’ici il est écrit : qu’il a été fait à « la ressemblance d’un homme », et non pas qu’il s’est fait homme. – Mais comment pourrait-on être fait à la ressemblance d’un homme ? En revêtant une vaine ombre ? Dès lors, c’est un fantôme ; ce n’est plus rien de semblable à l’homme. Le semblable de l’homme, c’est un autre homme. D’ailleurs que répondrez-vous au texte de saint Jean : Le « Verbe s’est fait chair », sans contredire notre apôtre saint Paul lui-même, qui dit ailleurs : « À la ressemblance d’une chair de péché ? »
« Et par tout son extérieur, il a été trouvé « comme un homme ». Voilà, disent-ils encore Par l’extérieur, et comme un homme. Or, être comme un homme, être un homme par l’extérieur, c’est tout autre chose qu’être un homme par nature. – Vous voyez, mes frères, avec quelle ingénuité et quelle assurance je vous rapporte tes objections des adversaires ? La victoire, en effet, ne peut être splendide et surabondante, qu’à la condition que nous ne dissimulerons en rien la force apparente de leurs difficultés. Dissimuler serait une ruse plutôt qu’une victoire. Que disent donc les hérétiques ? Ne craignons pas de le répéter. Autre chose d’être homme par l’extérieur, autre chose de l’être par nature ; et de même autre chose d’être dans la ressemblance d’un homme, ou d’être simplement homme.
Je réponds : Alors aussi prendre la forme d’esclave n’est pas prendre la nature d’esclave. Il y a contradiction dans les termes. Pourquoi ne détruisez-vous pas tout d’abord cet antagonisme ? Car si le texte que vous citez plus haut nous bat selon vous, celui-ci évidemment vous bat à votre tour. L’apôtre n’a pas dit : Comme une forme d’esclave ; ni : À la ressemblance d’une forme d’esclave ; ni : Dans l’extérieur d’une forme d’esclave ; mais simplement : « Il a pris forme d’esclave ». Que voulait-il dire ici ? Est-ce encore là une contradiction dans les mots ? À Dieu ne plaise !
Toutefois, sur ce texte même, ils nous jettent une facétie froide et ridicule. Il a pris forme d’esclave, répondent-ils, lorsque, ceint d’un linge, il a lavé les pieds de ses disciples. Mais est-ce là forme d’esclave ? Non, non, c’est œuvre et rôle d’esclave ; or assumer rôle d’esclave et prendre forme d’esclave, voilà choses bien différentes. Pourquoi n’a-t-il pas dit : Il fit une œuvre d’esclave ? C’eût été plus clair. Jamais, dans l’Écriture, le mot « forme » n’est employé pour le mot « œuvre ». La différence