Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/520

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pas cette grâce. Croyez-moi : ce n’est pas pour vous épouvanter que je poursuis ce que j’ai à dire. J’en connais plusieurs à qui ce malheur est arrivé ; dans l’espoir et l’attente de ce sacrement de l’illumination, ils péchaient beaucoup ; et au terme de leurs jours, ils sont partis vides et nus. Car c’est pour briser les chaînes du péché et non pour les multiplier, que Dieu a donné le baptême. S’en servir pour pécher plus à l’aise, c’est se créer des raisons de lâcheté et de négligence. Si le bain sacré n’existait pas, tel vivrait avec plus de précaution, parce qu’il n’aurait pas de pardon à espérer. Vous connaissez le détestable principe : Faisons le mal pour que le bien s’ensuive ; c’est nous qui pratiquons ce principe et voulons qu’on le répète ! Aussi, je vous en prie, vous qui n’avez pas encore été initiés aux saints mystères, réveillez-vous. Que nul n’aborde la pratique de la vertu en vrai mercenaire, en véritable ingrat ; que personne n’y entre comme dans une entreprise pénible et ennuyeuse. Non ! mais approchons avec un cœur allègre, une âme joyeuse ! Quand bien même, en effet, on ne nous proposerait aucune récompense, ne faudrait-il pas être vertueux ? Soyons-le donc encore avec l’espoir d’une récompense. N’est-ce pas ici une honte et le comble du déshonneur ? Si vous ne me donnez point de salaire, dites-vous, je ne veux être ni modeste ni tempérant. Eh bien ! moi, j’ose vous dire que vous ne serez jamais tempérants ni modestes, si vous voulez l’être pour un salaire. Vous n’estimez point la vertu, si vous ne l’aimez pas. Et toutefois Dieu, à cause de notre infirmité, a bien voulu y attacher une récompense ; et nous, même à ce prix, nous n’en essayons point.
Or, supposons, si vous le voulez, qu’un homme meure, après avoir commis des péchés sans nombre, et cependant après avoir reçu le baptême, ce qui, à mon sens, n’arrivera pas de sitôt. Comment cet homme partira-t-il pour le ciel ? S’il n’est plus accusé du mal qu’il aura commis ; il est certain cependant qu’il ne jouira pas d’une grande confiance. Car après avoir vécu un siècle, il ne montre dans sa conduite qu’un bien, c’est qu’il n’a plus de péchés ; je me trompe, il ne peut même montrer si peu ; il est sauvé uniquement par la grâce : or, quand il verra les autres élus couronnés, glorieux, environnés d’honneur et d’estime, quoiqu’il ne tombe pas en enfer, supportera-t-il, dites-moi, l’angoisse et la honte qui tourmenteront son âme ?
Un exemple éclaircira ma pensée. Voici deux soldats ; l’un est voleur, habitué à l’injustice, ravisseur du bien d’autrui ; l’autre, au contraire, se conduit en brave, s’illustre par des hauts faits, se couvre de trophées en trempant ses mains dans le sang des ennemis. Plus tard, quand le moment est venu, on vient le prendre dans le rang où était avec lui le soldat voleur, on le conduit soudain au trône impérial, on le revêt de pourpre ; tandis que l’autre est maintenu à sa place vulgaire, et ne doit qu’à la clémence du souverain de n’être pas puni de ses crimes ; mais il reste au dernier plan, mais on lui assigne sa place loin de l’empereur : supportera-t-il, dites-moi, le poids de son chagrin et de ses remords, quand il verra ainsi son compagnon d’armes élevé au faîte des dignités, parvenu au comble de la gloire, dictant des lois au monde entier, lorsque lui-même reste au plus bas degré, et ne peut même s’honorer d’avoir échappé au supplice, cet honneur appartenant tout entier à la clémence et au pardon de son prince ! Ah ! quand bien même le souverain l’aurait relâché et lui aurait pardonné ses crimes, il ne vivra que couvert de honte et d’ignominie ; il ne sera pas, certes, admiré des autres, car dans le cas d’une grâce semblable, on n’admire pas celui qui la reçoit, mais celui qui l’accorde ; plus est grand le don octroyé, plus est affreuse la honte de celui qui en est l’objet, puisqu’il suppose de grands crimes commis.
De quels yeux donc un tel chrétien pourra-t-il voir ceux qui sont dans la cour céleste, et qui montrent et leurs blessures et leurs travaux innombrables, lorsque lui-même ne pourra rien montrer, lorsqu’il ne devra qu’à la bonté et à la clémence de Dieu d’être relâché sain et sauf ? Tel qu’un homicide, un voleur, un adultère prêt à marcher au dernier supplice, et qu’un haut personnage s’est fait donner à discrétion, et qu’il fait tenir à la porte de son palais : le misérable n’osera, d’ailleurs, regarder personne en face, bien qu’après tout il ait échappé au coup fatal : tel sera ce chrétien.
5. Car de ce qu’on appelle ce séjour la cour céleste, n’allez pas croire que tous y occupent le même rang. Dans les cours de nos princes, vous voyez des premiers officiers, et tous ceux qui font cortège au souverain, et toutes sortes de bas officiers, et jusqu’à ces licteurs qui occupent l’emploi appelé de Décan ; tous s’y rencontrent, bien, qu’entre le licteur et le grand officier, la distance soit immense. Bien plus grandes encore seront les différences dans la cour céleste. Et je ne dis pas cela de moi-même, car saint Paul établit une autre différence bien autrement considérable que. toutes celles-là. Les différences qui se remarquent entre les astres, depuis le soleil jusqu’à la lune, jusqu’aux étoiles, jusqu’à la moins brillante de celles-ci, ne sont pas en plus grand nombre ni plus grandes que celles qui existent entre les habitants de la cour divine. Or, qu’entre le grand officier et le licteur il y ait une distance bien moindre qu’entre le soleil et la moindre étoile, c’est chose évidente à tous les yeux ; car le soleil éclaire à la fois et réjouit la terre tout entière, et, sa lumière éclipse la lune et les étoiles ; et telle petite étoile ne parait peut-être même jamais et reste perdue dans les ténèbres, car il est bien des étoiles que nous n’apercevons même pas.
Quand donc nous verrons les autres devenir des soleils, tandis que nous irons prendre la place des moindres étoiles, de celles qui ne se devinent même pas, quelle consolation nous restera-t-il ? Ah ! je vous en prie, ne soyons pas ainsi tardifs ; lourds et lâches ; ne traitons pas l’affaire du salut dont Dieu est l’enjeu, de façon à la changer en œuvre de loisir ; exerçons sur elle un saint négoce, sachons la faire valoir et la multiplier. Car enfin chacun ici, fût-ce un catéchumène,