Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/532

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et des orages ; rien ne le captive. Nous pouvons y si nous voulons, arriver là ; et comme il semble souffrir de ces tempêtes, tout en restant en effet impassible, ainsi sachons ne point pâtir, alors même que nous paraissons souffrants. En effet, dans la mauvaise saison, le vulgaire, ignorant la beauté inaltérable de ce dôme céleste, s’imagine qu’il subit des changements ; les philosophes au contraire savent qu’il n’en a point souffert ; ainsi la patience peut nous rendre immuables jusque dans les souffrances. Plusieurs nous croiront changés et supposeront que la douleur nous a touchés au cœur ; mais les sages sauront qu’elle n’a pu nous frapper.
Encore une fois, devenons un ciel : montons à cette hauteur, et de là nous verrons les hommes tout pareils à de pauvres fourmis ; et nous jugerons ainsi les pauvres comme les riches, les grands, l’empereur même ; nous ne distinguerons plus ni souverain, ni sujet ; nous ne saurons plus ce que c’est que l’or ou l’argent, la soie ou la pourpre. Assis à cette hauteur, nous verrons tout comme des moucherons ; pour nous, plus de tumulte, de révolution, de clameur.
Mais comment, direz-vous, comment peut s’élever si haut un mortel qui habite ce bas monde ? Je laisse les paroles pour vous répondre par les faits, et vous montrer des hommes qui ont su arriver à cette sublime élévation. Qui sont-ils ? Paul et ses disciples, qui même en habitant la terre ; conversaient dans le ciel. Dans le ciel, que dis-je ? Plus haut que le ciel, dans un autre ciel que celui-ci ; jusqu’à Dieu même ils montaient, ils arrivaient ! « Qui nous séparera », s’écrie-t-il, « de l’amour de Jésus-Christ ? Sera-ce la tribulation ou l’angoisse, la faim ou la persécution, la nudité, le danger, le glaive ? » (Rom. 8,35) Et ailleurs : « Nous ne contemplons point désormais les choses visibles, mais les invisibles ». (2Cor. 4,18) Remarquez-vous qu’il n’avait plus de regard pour les choses d’ici-bas ? Et pour vous prouver qu’il était plus élevé que les cieux, je vous citerai sa parole. « Je suis certain en effet que ta mort ni la vie, les choses présentes ni les futures, la hauteur ni la profondeur, qu’aucune créature enfin ne pourra nous séparer de l’amour de Jésus-Christ ».
4. Voyez-vous comment sa pensée s’élevant au-dessus de tout, le rendait supérieur, non seulement à toute créature, non seulement à ce ciel visible, mais à tous les cieux qui peuvent exister ? Avez-vous compris cette élévation d’âme ? Avez-vous vu quel homme admirable était devenu ce faiseur de tentes, quand il l’a voulu, lui qui avait passé toute sa vie dans les rues et les places publiques ? Non, non ; avec une ferme volonté rien ne peut arrêter notre vol sublime. Car si nous apprenons parfaitement, si nous pouvons exercer certaines professions dont les résultats étonnent et surpassent le vulgaire, bien plus est-il possible d’atteindre à une perfection qui demande moins de travail. Quoi de plus difficile, de plus pénible, par exemple, dites-moi, que de marcher sur une corde tendue, comme on le ferait sur un sol uni ; et, tout en se promenant dans le vide, de s’habiller et de se déshabiller comme si on était assis sur son lit ? Ces expériences ne nous semblent-elles pas tellement effrayantes, que loin de vouloir les regarder, nous tremblons, nous avons le frisson rien qu’à les apercevoir ? Dites-moi encore, quoi de plus pénible et de plus difficile que de se placer une perche en équilibre sur le front, et de porter sur la pointe un misérable enfant qui fait mille évolutions dangereuses pour l’amusement du public ? Quoi de plus pénible et de plus difficile que de jouer à la paume sur des épées dressées ? Est-il rien de dangereux comme de fouiller en plongeant le fond des mers ? Vous me citeriez vous-mêmes mille autres professions périlleuses.
Or, la vertu est plus aisée que tout cela, quand même une sainte ambition nous porterait à monter jusqu’au ciel. Ici, il ne s’agit que de vouloir, et tout s’ensuit. Il n’est pas permis de dire : Je ne saurais ! Ce serait accuser votre créateur ; car sil nous a faits trop faibles, et qu’il nous commande cependant, l’accusation retombe sur lui. Comment donc, direz-vous, tant d’hommes ne peuvent-ils pas arriver ? C’est qu’ils ne veulent pas. Et pourquoi ne veulent-ils pas ? C’est lâcheté : s’ils voulaient, certainement ils pourraient. Paul n’a-t-il pas dit : « Je veux que tout homme soit comme moi-même ? » (1Cor. 7,7) II savait, en effet, que tous peuvent être comme lui : si la chose était impossible, il n’aurait pas écrit cette parole.
Voulez-vous devenir vertueux ? Avant tout, commencez. Car, dites-moi, dans toute profession, dès qu’on veut savoir, suffit-il de vouloir, sans mettre la main à l’œuvre ? Par exemple, quelqu’un veut devenir pilote ; il ne dit pas : Je le veux ; c’est insuffisant, en effet ; aussi, il commence. Veut-on devenir marchand ? On ne dit pas seulement : Je veux ; on entreprend le commerce. Veut-on voyager au loin ? On ne dit pas seulement : Je veux ; on se met en route. En toutes choses enfin, vouloir ne suffit pas ; agir est nécessaire. Et quand vous voulez monter au ciel, vous vous contentez de dire : Je le veux. !
On m’objectera que je disais tout à l’heure : Il suffit de vouloir ! Oui, de vouloir avec des actes, de commencer la grande affaire et les saints travaux. Car nous avons un Dieu qui nous seconde et nous aide. Seulement, prenons notre parti, mettons-nous à l’œuvre comme à une chose sérieuse, soyons diligents, soyons appliqués et attentifs, et le reste se fera. Que si nous dormons, si nous attendons en plein sommeil que le ciel s’ouvre, quand donc pourrons-nous saisir ce sublime héritage ? De la volonté, donc, je vous en prie, de la volonté ! Pourquoi toujours traiter uniquement les affaires de cette vie que nous quitterons demain ? Ah ! plutôt, faisons choix de la vertu, qui nous suffira pour les siècles sans fin, où nous serons à tout jamais, où nous jouirons de biens impérissables ! Puissions-nous les gagner tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.