Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/558

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l’infini, et que vous surpassez d’une manière incomparable, vous faites des amis et vous leur en donnez le nom ! Pour une amitié pareille, que ne devrions-nous pas souffrir volontiers ? Et pourtant nous bravons les dangers pour gagner une amitié humaine, lorsque, pour, celle de Dieu, nous ne dépensons pas même notre argent ! Oui, je le répète, notre état mérite les pleurs, le deuil, les gémissements, les lamentations, les sanglots ! Déchus de notre espérance, tombés de notre rang sublime, nous nous montrons indignes de l’honneur que Dieu nous a fait. Oublieux et ingrats, après tant de faveurs, dépouillés de tous nos biens par le démon, nous que le Seigneur avait élevés jusqu’au rang d’enfants, de frères, de cohéritiers, nous sommes en tout semblables à ses ennemis les plus outrageux.
Quelle consolation ou espérance pourra nous rester encore ? Dieu nous appelle au ciel : et, spontanément, nous nous précipitons en enfer. Mensonge, vol, adultère se répandent sur cette terre. Le sang est versé sur le sang. Des crimes se commettent pires encore que l’assassinat. En effet, que d’opprimés, que de malheureux si tristement ruinés par l’avarice de leurs frères, qui choisiraient volontiers mille morts plutôt que ces excès de misère, et qui déjà se seraient réfugiés dans le suicide, si la crainte de Dieu ne les avait retenus, tant ils désirent se donner le coup fatal ! De tels crimes ne sont-ils pas pires que le sang versé ? « Malheur à moi », disait le Prophète, « l’homme pieux a disparu de la terre, et parmi tous les hommes il n’en est plus un seul qui fasse le bien ! » (Michée, 7,2) Jetons ainsi sur nous-même ce cri d’alarme et de douleur ; mais vous, mes frères, aidez-moi à gémir. Peut-être quelques-uns n’ont-ils encore que le rire à nous opposer. Oh ! alors redoublons nos lamentations, en rencontrant parmi nous cette folie, cette démence furieuse, qui ignore jusqu’à son délire, et nous fait rire encore de ce qui devrait nous faire gémir ! « O homme ! la colère de Dieu se manifeste sur toute impiété et injustice des hommes ! Dieu viendra manifestement : le feu marchera devant lui, et la tempête horrible le précédera. Un feu devant sa face brillera et enflammera autour de lui tous ses ennemis. Le jour du Seigneur sera comme une fournaise ardente ». (Rom. 1,18 ; Ps. 49,3 et 46, 3) Et personne ne réfléchit à ces menaces, et des oracles si redoutables sont méprisés comme des fables ; personne, qui veuille les entendre ; et tous s’accordent pour en rire et s’en moquer. Par quelle voie pourrons-nous les éviter, cependant ? Par où trouver notre salut ? Nous sommes compromis, nous sommes perdus, vains jouets désormais de nos ennemis, moqués à la fois et des païens et des démons ! Satan, à l’heure qu’il est, relève la tète, il bondit, il triomphe, il s’applaudit, tandis que les anges commis à notre garde sont accablés de tristesse. Personne qui se convertisse : nous perdons ici nos peines, puisqu’à vos yeux nous sommes des charlatans.
4. L’heure est venue par conséquent d’apostropher le ciel, puisque personne n’écoute plus notre voix : il nous faut faire appel aux éléments : « Ciel, écoutez ; terre, prête l’oreille ! car le Seigneur a parlé ». (Is. 1,2) O vous qui n’êtes pas encore engloutis, donnez la main, offrez le bras à tant d’infortunés ; vous dont l’intelligence est saine encore, secourez tant de gens perdus par leur ivresse ; sages, secourez les êtres en démence ; cœurs fermes et solides, n’oubliez pas les âmes ballottées par leurs passions. Je vous en conjure, sacrifiez tout au salut de cet ami pécheur ; et que vos réprimandes et vos supplications n’aient qu’un but, son intérêt. Quand la maladie envahit une maison, les esclaves mêmes dominent leurs maîtres atteints de la fièvre ; tant qu’elle est là, en effet, troublant les âmes et menaçant les vies, toute la troupe de serviteurs présents à ce spectacle ne reconnaît plus la loi du maître au détriment du maître. Convertissons-nous, je vous en supplie : guerres de chaque jour, inondations, morts de tous côtés menaçantes et sans nombre, la colère de Dieu, enfin, nous environne de toutes parts. Et l’on nous voit aussi calmes, aussi exempts de crainte, que si nous étions agréables au souverain Maître ! Nos mains sont toutes et toujours disposées à s’enrichir par l’avarice ; aucune n’est prête à secourir par charité ; tous acceptent le rôle de ravisseur, aucun celui de défenseur. Chacun n’a que l’idée fixe d’augmenter ses richesses ; aucun, la pensée de venir en aide à l’indigent. Tous n’ont qu’une crainte et la formulent ainsi : Nous ne voulons pas être pauvres ! mais personne ne tremble ni ne frissonne, de peur de tomber en enfer. Voilà ce qui mérite nos lamentations, ce qu’on ne saurait trop accuser, trop blâmer !
Je ne voulais pas vous tenir ce langage ; mais la douleur m’y force. Oui, pardonnez à cette douleur qui, malgré moi, me fait parler contre mon cœur. Je vois des menaces terribles, des malheurs auxquels on ne peut apporter de consolation ; les maux qui nous ont envahis sont au-dessus de tout soulagement humain : nous sommes perdus ! « Qui donnera de l’eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes » (Jer. 9,1), pour pleurer dignement ? Oui, pleurons, mes frères, pleurons et gémissons. Il en est peut-être qui disent : Il ne nous parle que de lamentations, il ne veut que des larmes ! Ah ! c’est bien malgré mon cœur, croyez-le ; c’est bien malgré mon cœur ; je voudrais plutôt vous donner continuellement l’éloge et les louanges ! Mais c’est maintenant le temps des pleurs ! Et ce n’est pas le gémissement qui est pénible, ô mes bien-aimés ; c’est plutôt qu’on commette ce qui mérite le gémissement. Ce ne sont pas les larmes qu’il faut éviter, mais les actions qui méritent les larmes. Ne soyez pas punis, et je cesse de gémir ; ne mourez point, et mes larmes s’arrêtent. Mais quoi ! devant un cadavre vous demandez à tous un tribut de pitié, vous appelez cruels ceux qui ne gémissent point, et vous voulez que je ne pleure pas une âme qui périt ! Mais puis-je être père sans pleurer ? car je suis votre père, plein de bon vouloir et d’amour. Écoutez ce cri de Paul : « Mes petits enfants, que je mets au monde dans la douleur ! » (Gal. 4,19) Quelle mère dans l’enfantement pousse des cris plus douloureux ? Plût à