Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/566

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nous a fait asseoir à sa table au milieu de tapis et de riches couvertures, de tissus de fin lin brodés d’or, dans un splendide appartement ; il déploie le luxe d’un personnel nombreux de domestiques empressés ; le couvert est en or et en argent ; les mets de tout genre et très-rares chargent la table ; il nous invite à manger, et voilà que nous le voyons apporter des mains souillées de boue et d’ordure, et s’asseoir auprès de nous je vous le demande, qui donc supporterait le supplice d’un tel voisinage ? Qui ne se croirait déshonoré ? Tout le monde, j’imagine, éprouverait ce sentiment, et reculerait d’horreur. Et maintenant vous voyez des mains pleines de boue et qui, par là même, souillent les aliments qu’elles touchent, et vous ne fuyez pas ? Et vous ne blâmez même pas ? Et si vous rencontrez cette impudence dans un homme constitué en dignité, vous tenez sa présence à honneur, et vous perdez votre âme en goûtant ces mets abominables ! Car l’avarice est pire que la boue la plus infecte ; elle salit corps et âme, elle rend l’un et l’autre bien difficiles à purifier. Et vous qui voyez votre hôte couvert de cette fange, qui souille et remplit ses yeux, ses mains, sa maison, sa table ; car les aliments qu’il offre sont plus hideux et plus dégoûtants que l’ordure et que tout ce qu’il y a de plus immonde ; et vous vous trouvez simplement très-honoré, et vous vous promettez bien des délices ; et vous ne respectez pas même la défense de saint Paul, qui nous permet, facilement de nous asseoir, si nous voulons, à1a table des païens, tandis qu’il ne nous permet pas même le désir de goûter à celle des avares et de ceux qui s’enrichissent aux dépens du prochain. Il dit, en effet : « Fuyez celui qui s’appelle frère entre vous, si c’est un fornicateur », désignant ici simplement par frère, tout fidèle, et non pas un moine. Car qu’est-ce qui fait la fraternité ? C’est le bain de la régénération, en vous donnant droit de donner à Dieu le nom de Père. Pour cette raison, un catéchumène, fût-il moine, n’est pas un frère ; tandis qu’un fidèle, fût-il mondain et séculier, est frère. « Si donc », dit saint Paul, « celui qu’on nomme frère » : or, vous savez qu’à l’époque de l’apôtre, il n’y avait pas même vestige de moine ; c’est donc aux gens du monde et du siècle que s’adressaient toutes les paroles du saint : « Si celui « qu’on nomme votre frère, est fornicateur, ou avare, ou ivrogne, vous ne prendrez pas même « votre nourriture avec un homme de cette espèce ». Il n’est pas aussi sévère avec les Grecs ou gentils : « Si un infidèle vous invite et qu’il vous plaise d’y aller, mangez tout ce qu’on vous donnera » (1Cor. 5,11 ; 10, 27) ; tandis qu’il nous exclut de chez un frère dès qu’il est ivrogne.
4. Admirez l’exactitude et la précision de son langage ! Mais nous, non contents de ne pas fuir les ivrognes ; nous allons les trouver, heureux de partager ce qu’ils voudront bien nous offrir. Aussi, tout va à la dérive, tout est bouleversé, confondu, perdu ! Car enfin, répondez-moi. Qu’un chrétien de cette espèce vous invite à un repas, vous qu’on regarde comme pauvre, vil et abject ; si vous avez le courage de lui dire Comme ce que vous m’offrez n’est que le fruit de votre avarice, je ne m’abaisserai pas à souiller mon âme ! A ce langage, ne va-t-il pas rougir de honte ? Cela suffirait pour le corriger et lui donner l’idée qu’il est malheureux à cause de ses richesses mêmes ; votre pauvreté ferait son admiration, s’il se voyait méprisé par vous de si grand cœur. Au contraire, hélas ! nous sommes devenus les esclaves des hommes, bien que Paul ne cesse de nous crier partout moyen : « Ne devenez pas les esclaves des hommes ! » (1Cor. 7,23) Et pourquoi sommes-nous dans cette honteuse servitude à leur égard ? C’est que nous sommes les esclaves de notre ventre, de l’argent, de la gloire, de tous les faux biens, et que pour eux nous livrons la sainte liberté que nous tenons de Jésus-Christ. Or, quel sort enfin doit attendre l’esclave, dites-moi ? Jésus-Christ vous l’apprend : « L’esclave ne demeure pas éternellement dans la maison ». (Jn. 8,35) Voilà un arrêt clair et absolu qui l’exclut du royaume des cieux ; car c’est là la maison de Dieu, d’après lui-même : « Il y a », dit-il, « plusieurs demeures dans la maison de mon Père ». (Jn. 14,2) L’esclave ne demeurera donc point éternellement dans sa maison ; et l’esclave, d’après Jésus-Christ, c’est l’esclave du péché ; et celui qui ne demeure pas éternellement dans sa maison, éternellement demeure en enfer, sans plus garder aucune consolation.
Hélas ! les choses en sont venues à un tel degré d’improbité et de vice, que des – richesses criminelles mêmes se donnent en aumônes, et qu’on les reçoit à ce titre. Aussi la liberté du reproche est morte, nous n’avons plus le droit de blâmer qui que ce soit. Ah ! désormais, nous du moins, sachons, par notre libre parler, éviter la tache qui en résulte pour notre ministère ; et vous qui pétrissez cette fange, cessez un métier ruineux, maîtrisez votre appétit en l’éloignant de pareils banquets, et peut-être aurons-nous quelque moyen d’apaiser la colère de Dieu, et de gagner les biens promis. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et le Fils, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.