abaissé sous la tyrannie de ce vice, souvent il blasphème, et ne tient aucun compte de son droit d’aînesse, puisque tout entier à son bonheur charnel, il sacrifie jusqu’à ce droit sublime.
Concluez que le droit d’aînesse nous appartient, et non plus aux Juifs. Cette comparaison, d’ailleurs, se rapporte, dans la pensée de l’apôtre, à l’épreuve qu’ont subie ces chers Hébreux. Il leur fait entendre que le premier est devenu le dernier, et que le second a gagné le premier rang. L’un est monté par sa fermeté et sa patience : l’autre est descendu par sa lâche sensualité.
2. « Car sachez que désirant, mais trop tard, son héritage de bénédiction, il fut réprouvé. Il ne trouva pas, en effet, lieu au repentir, bien qu’ayant demandé avec larmes à être bénit (17) ». Que signifie ce texte ? Faut-il y voir la pénitente même réprouvée ? Non, sans doute. Mais alors, comment Esaü ne trouva-t-il point place au repentir ? Comment cette place ne s’est-elle point trouvée pour lui, s’il s’est condamné lui-même, s’il a poussé d’amers sanglots ? C’est que toutes ces démonstrations n’étaient point la pénitence, pas plus que ne le fut cette douleur de Caïn, évidemment démentie par son fratricide ; ainsi les cris d’Esaü n’étaient pas ceux du repentir, comme ses idées de meurtre en donnèrent la preuve. Lui aussi, dans son cœur du moins, fut l’assassin de Jacob. « Le temps de la mort de mon père viendra », disait-il, « et je tuerai mon frère Jacob ». (Gen. 27,14) Ses larmes ne purent donc pas lui donner un vrai repentir. L’apôtre ne dit pas absolument qu’il n’obtint rien par sa pénitence, mais qu’avec ses larmes mêmes, il ne trouva point place à la pénitence. Pourquoi ? C’est qu’il ne fit pas pénitence selon les conditions essentielles à un vrai repentir. La pénitence est là tout entière, en effet ; il ne s’est point repenti comme il l’aurait fallu. Les paroles de l’apôtre ne peuvent autrement s’expliquer. En effet, (si la pénitence est inutile), pourquoi exhorter à la conversion les Hébreux attiédis ? Comment les réveiller, dès qu’ils étaient devenus chancelants, languissants, découragés ? Car tous ces symptômes annonçaient une chute commencée.
L’apôtre me paraît faire allusion ici à certains fornicateurs qui auraient existé parmi les Hébreux, bien que pour le moment il ne veuille pas les désigner et les reprendre ; il feint même de ne rien savoir, afin qu’eux-mêmes se corrigent. Car il faut d’abord feindre d’ignorer le mal, et n’apporter la réprimande que plus tard et s’ils y persévèrent, de façon à ne pas leur ôter la pudeur du crime. C’est la conduite que tint Moise à l’égard de Zambri et de Chasbitis.
« Il ne trouva point place à la pénitence » ; il ne trouva pas la pénitence. Est-ce parce qu’il commit de ces péchés qui sont trop énormes pour qu’on en fasse pénitence ? Est-ce plutôt parce qu’il ne fit pas une digne pénitence ? Il est donc, en effet, quelques péchés trop grands pour qu’un en puisse faire pénitence. C’est ce que l’apôtre dit ailleurs : Ne tombons point par une chute incurable. Tant que notre malheur se borne à une marche boiteuse, le boiteux facilement se redresse mais si nous sommes renversés complètement, quelle ressource nous est laissée ? – Ainsi parle l’apôtre avec ceux qui ne sont pas encore tombés ; il les épouvante avant la chute, et affirme que celui qui est tombé n’a plus de consolation à attendre. Mais à ceux qui sont tombés toutefois, il tient un langage tout contraire, de peur qu’ils ne se précipitent dans le désespoir : « Mes chers petits enfants », leur crie-t-il, « vous que j’enfante de nouveau avec douleur, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous ! » Et ailleurs : « Vous qui cherchez votre justification dans la loi (de Moïse), vous êtes déchus de la grâce ». (Gal. 4,19 ; 5,4) Voilà qu’il atteste leur entière déchéance. – C’est qu’en effet le fidèle qui est debout, dès qu’il entend proclamer que le pardon est impossible à celui qui tombe, devient plus ardent au bien, plus ferme, plus stable dans sa résolution. Mais si vous tenez un langage aussi énergique à l’égard de l’homme tombé, jamais il ne se relèvera. Que peut-il espérer, en se convertissant ?
« Esaü », ajoute l’apôtre, « non seulement pleura, mais il chercha la pénitence ». Ainsi la pénitence n’est pas réprouvée dans le texte où il dit qu’il n’a pas trouvé place au repentir. II veut seulement les prémunir, les rendre fermes et stables, pour qu’ils ne tombent jamais. Maintenant, que ceux qui ne croient pas à l’enfer, se souviennent de ce trait ; que ceux qui n’ont pas foi à la punition du péché, réfléchissent ici et se demandent pourquoi Esaü n’obtint pas son pardon ? C’est qu’il ne fit point pénitence comme il l’aurait fallu.
3. Voulez-vous un exemple de pénitence parfaite ? Écoutez celle de Pierre après son reniement. L’évangéliste nous raconte sa conduite par un seul trait : « Il sortit,», dit-il, « et pleura amères ment ». Un péché aussi énorme lui fut donc remis, parce qu’il fit pénitence comme il le devait. Et pourtant le sacrifice sanglant n’avait pas encore été offert ; la victime n’avait pas encore été immolée ; le péché n’avait pas encore été détruit, et continuait à exercer son règne et sa tyrannie. Mais il faut que vous sachiez que ce reniement fut l’effet moins de sa lâcheté que de l’abandon de Dieu, qui voulut le dresser à connaître la juste mesure des forces humaines, à ne jamais résister aux paroles que lui adressait son maître, à ne jamais s’élever au-dessus des autres ; à savoir que sans Dieu nous ne pouvons rien faire, et « Que si le Seigneur ne bâtit point la maison, en vain travaillent ceux qui la construisent ». (Ps. 126,1) Écoutez donc comment Jésus-Christ l’avertit spécialement, l’admoneste nommément et seul
« Simon, Simon, Satan a demandé de te cribler, comme on crible le froment ; mais moi j’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille point[1] ». (Lc. 22,31-32) Car, comme très-probablement Pierre se complaisait en lui-même et s’élevait en
- ↑ En lisant ce passage tout entier, on en tirera la conclusion toute contraire à celle qu’y a cherchée le Jansénisme. On dira, avec saint. Augustin, parlant du Dieu juste et bon : Non deserit, nisi deseratur. Et la prière spéciale de Jésus-Christ pour Simon prouvera encore que cet abandon de Dieu n’est certes point un refus de la grâce.