Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/591

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

HOMÉLIE XXXI.


EFFORCEZ-VOUS D’AVOIR LA PAIX AVEC TOUT LE MONDE, COMME AUSSI LA SAINTETÉ, SANS LAQUELLE PERSONNE NE VERRA DIEU. (CHAP. 12,14-17)

Analyse.

  • 1-3. L’amour du prochain, vrai caractère du christianisme. – Jésus-Christ est mort pour tous et polir chacun de nous. – Le péché est une véritable amertume, sans compensation ni douceur. – La gourmandise d’Esaü lui fait sacrifier son droit d’aînesse : tout esclave du ventre – l’imite et s’avilit. – L’inutile pénitence d’Esaü doit faire trembler les justes, mais ne doit pas décourager les pécheurs. – Double langage de l’apôtre à ce sujet.
  • 3 et 4. Vraie et fausse pénitence, prouvée par la conduite subséquente de saint Pierre et de David, d’une part ; et de Judas, d’Esaü, de Cam, d’autre part. – La vraie pénitence se reconnaît aussi dans le souvenir continuel du péché qu’on a une fois commis – La pénitence se prouve par la confession à Dieu et au juge. – Par le souvenir et l’aveu de nos péchés, nous obtenons l’oubli et l’amnistie de Dieu, qui, autrement, manifestera publiquement nos fautes. – Tableau saisissant de cette manifestation solennelle du jugement dernier.


1. Le vrai christianisme se reconnaît à plusieurs caractères ; mais plus que tout autre, mieux qu’aucun, la paix entre nous, l’amour réciproque le révèle évidemment. Aussi Jésus-Christ a-t-il dit : « Je vous donne ma paix » ; et encore : « Tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jn. 14,27 ; 13, 35) C’est là ce qui fait dire à saint Paul : « Efforcez-vous d’avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté », c’est-à-dire l’honnêteté, « sans laquelle personne ne verra Dieu ».
« Veillant à ce que personne ne manque à la grâce de Dieu (15) ». Pareils aux voyageurs qui cheminent en grande caravane pour une route très-longue, veillez, dit-il, à ce que personne ne reste en arrière. Je ne vous demande pas seulement que vous marchiez vous-même, mais encore que vous ayez l’œil sur les autres pour qu’aucun ne manque à la grâce de Dieu. Il appelle grâce de Dieu les biens à venir, la foi à l’Évangile, la vie chrétienne et parfaite : car tout cela est un don de la divine grâce. Et ne me dites pas, continue-t-il, qu’après tout c’est un seul homme qui périt : pour ce seul homme même, Jésus-Christ est mort ; et vous ne tiendriez pas compte de celui qui a coûté la vie à votre Sauveur ? « Veillant », c’est le mot de l’apôtre ; entendez : examinant avec scrupule, considérant, cherchant à savoir, comme on aime à s’enquérir des santés faibles, et vous observant en tout et toujours « de peur que quelque racine amère poussant en haut ses rejetons, n’empêche » la bonne semence. C’est une citation du Deutéronome (29, 18), empruntée d’ailleurs par métaphore au règne végétal. Gardez-vous, dit-il, de toute racine d’amertume, dans le même sens qu’il écrit ailleurs : « Un peu de levain aigrit toute la pâte ». (1Cor. 5,6) Je ne réprouve pas seulement le péché même, mais aussi la ruine spirituelle qui en dérive. Ainsi, supposé qu’il se montre semblable racine, ne permettez pas qu’elle pousse un seul rejeton ; tranchez au vif, pour l’empêcher de produire ses fruits, et d’infecter, de souiller le prochain.
« Gardez donc », dit-il, « qu’aucune racine d’amertume poussant en haut ses rejetons, n’empêche » la bonne semence, « et ne souille » l’âme de « plusieurs ». Qu’il a raison d’appeler le péché une amertume ! Rien de plus amer, en effet, que le péché. Ils le savent ceux qui, après l’avoir commis, sèchent et se consument de remords, et ressentent une amertume affreuse, si affreuse même qu’elle pervertit en eux le jugement et l’intelligence. Car c’est la nature de l’amertume de vous ôter tout autre sentiment. Racine d’amertume est une expression aussi très-exacte : il ne dit pas, en effet, racine amère, mais d’amertume. En effet, il se peut qu’une racine amère porte des fruits suaves, tandis que jamais on n’en recueillera sur une racine d’amertume, sur ce qui est le principe, la base même de l’amertume. Ici, tout est nécessairement amer, sans douceur aucune ; tout porte avec soi une sensation désagréable et repoussante, tout est odieux et abominable. – « Et ne souille l’âme de plusieurs », c’est-à-dire, prévenez le mal, retranchez de votre société les gens sans pudeur.
« Qu’il ne se trouve aucun fornicateur, ou aucun profane, comme Esaü, qui vendit son droit d’aînesse pour un seul repas (46) ». Esaü fut-il donc jamais fornicateur ? Il ne le fut pas positivement ; cette expression est placée ici par opposition à ce mot précédent : « Tendez à la sainteté ». Quant à la qualification de profane, elle semble bien atteindre Esaü. Que nul donc ne soit, comme lui, un profane, c’est-à-dire un esclave du ventre et de l’appétit, un être charnel, capable de vendre les biens spirituels, « puisqu’il vendit », en effet, « son droit d’aînesse pour un seul repas » ; sacrifiant ainsi bassement cet honneur qu’il tenait de Dieu, et livrant en échange d’un plaisir misérable l’honneur et la gloire la plus insigne.
Pareille honte doit peser sur tous les hommes qui sont ainsi abominables, ainsi grossiers et impurs. Le débauché n’est donc pas le seul impur au monde ; l’être glouton et esclave du ventre ne l’est pas moins. Lui aussi subit l’esclavage de sa passion ; lui aussi, pour y satisfaire, s’assujettit à l’avarice, au vol, à mille actions basses et déshonorantes ;