Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/597

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Mais quel est son langage ? L’Esprit, répond saint Paul, « l’Esprit parle par des gémissements ineffables ». (Rom. 8,26) Comment donc s’ex prime-t-il ? C’est qu’en descendant au fond d’un cœur sincère, il le réveille, et lui prête même une voix.
« Gardez-vous de refuser d’entendre ce langage », c’est-à-dire, ne le repoussez jamais. « Car, si ceux qui ont méprisé celui qui leur parlait sur la terre… » De qui parle ici saint Paul ? Il semble désigner Moïse, et faire ce raisonnement : Si ceux qui ont méprisé un législateur terrestre, n’ont pu échapper au châtiment, comment nous soustraire nous-mêmes à celui qui, du haut du ciel, nous impose ses lois ? Toutefois, il n’enseigne pas, Dieu nous garde de le croire ! que ces législateurs soient différents ; il ne nous en montre pas deux dans ce texte, mais seulement que l’un apparaît terrible, quand sa voix tombe des hauteurs célestes. Au fond, c’est le même, pour Israël et pour nous ; mais, chez les Juifs, il est avant tout redoutable. L’apôtre nous montre donc la différence, non pas de donateur, mais seulement de donation. Et quelle est la preuve de ce fait ? C’est la suite même des paroles apostoliques. Car, dit-il, si pour avoir refusé d’entendre celui qui leur parlait sur la terre, ils n’ont pas échappé au châtiment, bien moins éviterons-nous celui qui nous parle du haut du ciel. Mais quoi ? Celui-ci est-il donc autre que le premier ? Non, car autrement, comment l’apôtre dirait-il que la « voix » du premier « ébranlait alors la terre même ? » Et de fait, la voix du législateur antique ébranla la terre.
« Et c’est lui qui a fait pour le temps où nous sommes une nouvelle promesse, en disant : « J’ébranlerai encore une fois, non seulement la terre, mais aussi le ciel ». Or, en disant : « Encore une fois », il déclare qu’il fera cesser les choses muables, comme étant faites pour un temps. Ainsi tout le rite antique devra disparaître de la scène, et se transformer en une loi meilleure par l’œuvre d’en haut. C’est ce que le texte donne à comprendre ici. Pourquoi donc, ô fidèle, te désoler de souffrir sur celle terre non permanente, et d’être affligé dans un monde qui passe si vite ? Si les derniers jours de ce monde devaient être ceux de la paix et du bonheur, on concevrait qu’à la vue de cette fin heureuse, on fût affligé et impatient. – « Afin », dit saint Paul, « que les choses immuables demeurent seules enfin ». Quelles sont ces choses immuables ? Celles de l’avenir éternel.
3. Agissons donc uniquement et en tout pour acquérir cette vie ineffable, pour jouir de ces biens infinis. Oui, je vous en prie et vous en conjure, n’ayons pas d’autre ambition. Personne ne voudrait bâtir dans une ville dont la ruine serait certaine et prochaine. Répondez-moi, en effet : si l’on venait vous prédire que telle cité sera ruinée dans un an, et telle autre jamais, bâtiriez-vous dans celle qui devrait périr ? C’est pourquoi je vous dis maintenant. N’édifions rien en ce monde ? Tout y doit bientôt tomber et périr. Mais que parlé-je de cette ruine d’objets extérieurs ? Avant cette ruine nous périrons nous-mêmes, nous serons rudement frappés, nous sortirons de ce monde si menacé. Pourquoi bâtir sur le sable ? Bâtissons sur le roc ; quel que soit dès lors le choc imminent, notre édifice demeure irrésistible ; il se dresse inexpugnable.
Rien de plus sûr, en vérité : car dans ce lieu suprême, il n’est point d’accès aux attaques ennemies, tandis que ce triste séjour de la terre y est constamment exposé. Ici, en effet, les tremblements de terre, les incendies, les irruptions des ennemis, nous arrachent tout vivants au monde, et souvent nous emportent dans sa ruine. Que si le sol qui nous porte reste intact, il y a toujours quelque maladie pour nous enlever bientôt, ou pour nous empêcher de jouir si nous y restons. Car quel plaisir peut-on goûter dans ce séjour des maladies, des calomnies, des jalousies, des complots incessants ?
Fussions-nous à l’abri de ces maux, souvent nous sommes peinés et désolés de n’avoir point d’enfants, de sorte qu’à défaut de ces chers héritiers à qui nous laisserions nos propriétés, nous souffrons cruellement de travailler pour d’autres. Souvent même notre héritage échoit à nos ennemis, non seulement après notre décès, mais même de notre vivant. Est-il donc rien de plus malheureux que de travailler pour des ennemis, que d’amasser pour soi des péchés sans nombre afin de leur laisser, à eux, le bonheur d’une vie tranquille ? Nos cités offrent de nombreux exemples de ce genre, et je m’arrête de peur d’affliger ceux qui sont ainsi privés de postérité ; mais je pourrais en désigner plusieurs par leur nom ; je pourrais vous redire plus d’une triste histoire, et vous montrer – plusieurs maisons dont la porte s’est ouverte aux ennemis mêmes de ceux qui avaient sué pour les édifier et les embellir. Et ce ne sont pas seulement les maisons, mais les serviteurs, ruais souvent l’héritage tout entier qui est ainsi échu à des ennemis. Ainsi vont les choses humaines.
Dans les cieux, au contraire, vous n’avez à redouter rien de semblable ; ainsi vous n’avez pas à craindre qu’après le décès d’un juste, son ennemi ne se présente et ne lui ravisse son héritage. Là, en effet, plus de mort, plus d’inimitié possible, rien enfin que les tabernacles éternels des saints ; et parmi ces bienheureux, tout est bonheur, joie, allégresse. Car, dit le Prophète, « les cris d’allégresse retentissent dans les tentes des justes ». (Ps. 117,15) Leurs demeures sont éternelles et ne connaissent point de fin ; elles n’éprouvent ni le ravage des temps, ni les changements de propriétaires ; mais elles s’élèvent dans une jeunesse et une beauté perpétuelles. La raison le proclame en effet, là, rien de corruptible ni que la mort puisse attaquer ; tout est immortel et inaccessible aux coups du trépas.
Pour un tel édifice, versons à pleines mains notre argent. Il n’est besoin ni d’architectes ni d’ouvriers. Les mains des pauvres nous édifient ces palais, bien qu’ils soient boiteux, aveugles, mutilés : ils sont ici les constructeurs. N’en soyez pas surpris, puisque ce sont eux qui nous gagnent un trône même, et nous procurent l’entière confiance en Dieu.