Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/60

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« Je crains qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ». (1Cor. 9,27) Sans cette crainte, en effet, l’acquisition des biens temporels est souvent impossible : combien plus celle des biens spirituels ! Dites-moi plutôt si, sans cette crainte, on pût jamais apprendre même l’alphabet, ou savoir un métier ! Et dans ces travaux, cependant, où le démon n’intervient pas aussi menaçant, où la paresse est le seul ennemi redoutable, il faut un suprême effort pour vaincre l’inertie de notre nature ; comment donc dans la guerre si redoutable, dans les obstacles si grands que rencontre l’affaire du salut, comment pourrait-on jamais réussir sans la crainte ?
Mais quels sont les moyens d’éveiller en nous ce sentiment si efficace ? C’est de graver dans notre âme le sentiment de la présence partout d’un Dieu qui entend tout, qui voit tout, et non seulement nos faits ou nos paroles, mais jusqu’aux replis les plus cachés de nos cœurs et de nos esprits. « Car Dieu est le témoin des pensées et des désirs du cœur ». (Héb. 4) Ainsi prédisposés, nous ne ferons, nous ne dirons, nous ne penserons rien où se mêle le péché. Dites-moi plutôt : si vous deviez constamment vous tenir debout devant un prince, vous seriez dans le respect et dans la crainte. Et comment se fait-il qu’en face de Dieu l’on s’abandonne au rire, aux bâillements, sans craindre, sans trembler ? N’abusez pas de sa longue patience. Il diffère de punir pour vous amener à repentance ; gardez-vous, dans n’importe quelle œuvre, d’agir comme si Dieu n’était pas partout présent : car il est là ! Ainsi dans le repas, à l’heure du sommeil, lorsque vous êtes prêt à vous livrer à la colère, à la rapine, aux plaisirs, dans toute action enfin, pensez à la présence de Dieu, et le rire coupable s’arrêtera sur vos lèvres, et la colère ne pourra vous emporter. Armé de cette continuelle pensée, vous serez constamment dans la crainte et le tremblement, puisque toujours vous vous verrez en présence du souverain Roi. Le maçon le plus expérimenté et le plus habile ne se tient debout qu’avec crainte et tremblement sur l’édifice auquel il travaille : il pourrait se précipiter ! Et vous aussi, malgré votre foi, malgré la pratique de maints devoirs de vertu, malgré le haut degré de sagesse où peut-être vous êtes arrivé, tenez-vous bien ferme sur l’endroit sûr, restez debout, mais avec crainte et l’œil ouvert : vous pourriez en déchoir ! Il y a tant d’esprits de malice qui n’ont d’autre désir que de vous jeter dans l’abîme ! « Servez Dieu avec crainte », dit le Prophète, « réjouissez-vous devant lui, mais avec tremblement ». (Ps. 2,11) Mais comment concilier l’allégresse et le tremblement ? Je vous réponds que ce sont choses inséparables. Car lorsque nous aurons accompli un acte vertueux, quand nous l’aurons fait, vous dis-je, avec le même esprit qui fait agir un serviteur obéissant avec tremblement, alors, et seulement, alors la joie nous sera possible. Donc avec crainte et tremblement, « opérez votre salut » ; non pas, faites, mais opérez, en ce sens que vous fassiez la grande œuvre non pas tant bien que mal, mais avec un soin, mais avec un zèle parfait. Or, ces paroles de crainte, de tremblement ne vont-elles pas nous jeter dans l’inquiétude ? L’apôtre la prévient et la dissipe en ajoutant : « C’est Dieu qui opère en nous » ; ainsi, que la crainte et le tremblement dont je parle ne vous fassent point tomber les armes des mains ; si je les prononce, ce n’est pas pour vous désespérer ni pour vous faire croire que la vertu soit inabordable ; mais seulement pour vous forcer à comprendre, à vous appliquer, à ne point vous abattre, à ne jamais vous lasser. – Alors, répondrez-vous, Dieu fera tout ! il est vrai, ayez confiance ! Car c’est Dieu qui opère…
« Qui opère en vous le vouloir et le faire ». Si donc Dieu opère, aussi faut-il que nous lui apportions une volonté toujours concordante, ferme, constante. Si Dieu opère en nous la volonté elle-même, sans aucune coopération de notre part, pourquoi saint Paul nous exhorte-t-il à vouloir ? Si c’est Dieu qui fait toute notre volonté, vous avez tort, ô grand apôtre, de nous dire : « Vous avez obéi », car ce n’est plus nous qui obéissons ; en vain vous ajoutez : « Avec crainte et tremblement » : tout est de Dieu ! – L’apôtre vous répond : Ce n’est pas dans ce sens que je vous ai dit : « Dieu opère en nous le vouloir et le faire » ; je n’ai voulu qu’apaiser votre inquiétude. Si vous voulez, Dieu opérera en vous le vouloir ; que cette crainte ne vous trouble pas. C’est lui qui imprime le mouvement à la volonté et qui donne la force d’opérer. Dès que nous aurons voulu, il augmentera, il accomplira notre bon vouloir. Par exemple, je veux faire quelque bonne œuvre ? Il opère en moi cette bonne