Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/62

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L’œuvre est-elle avantageuse, ne l’est-elle pas ? Ne disputez pas ainsi éternellement ; agissez, quand même l’œuvre proposée aurait sa peine et ses ennuis. Il n’ajoute pas : Craignez d’être punis, car le supplice est indubitable ; l’apôtre le déclare ouvertement aux Corinthiens ; ici, rien de semblable ; au contraire : « Soyez », dit-il, « irrépréhensibles et sincères, fils de Dieu sans reproche au milieu d’une nation dépravée et corrompue, parmi laquelle vous brillez comme des astres dans le monde, portant en vous la parole de vie, pour être ma gloire au jour de Jésus-Christ ».
Comprenez-vous comment Paul les instruit à éviter les murmures ? Car cet esprit est celui des esclaves injustes et déraisonnables. Quel fils honnête, dites-moi, travaillant sur les propriétés de son père, et sûr par là de travailler pour lui-même, oserait murmurer ? Pensez donc, dit l’apôtre, que vous travaillez pour vous-mêmes, que vous amassez pour vous-mêmes. Que d’autres murmurent parce qu’ils dépensent pour des étrangers leurs peines et leurs sueurs : mais amassant pour vous, pourquoi murmurer ? Mieux vaut ne rien faire, que travailler avec cet esprit chagrin, puisqu’il détruit et tue ce que vous faites de bien. Est-ce que, dans nos maisons mêmes, nous n’avons pas sans cesse à la bouche cette maxime : Mieux vaut que besogne manque, plutôt que de se faire en murmurant ? Et souvent nous aimons mieux nous passer de certains services que de souffrir qu’on nous les rende de mauvaise grâce. C’est chose grave, en effet, grave et coupable est le murmure ; et qui approche du blasphème. S’il en était autrement, pourquoi les Israélites auraient-ils été si sévèrement punis de Dieu ? Ce vice révèle une âme ingrate. Qui murmure, est ingrat envers Dieu ; qui est ingrat envers Dieu, est déjà blasphémateur.
3. Au reste, à la naissance du Christianisme, les épreuves étaient continuelles, les dangers se suivaient sans interruption ; point de cesse, point de trêve ; de toutes parts une nuée de calamités ; tandis que de nos jours, la paix est profonde, la tranquillité parfaite.
Quel si grave motif vous fait murmurer ? – Votre pauvreté ? Pensez à Job. – Vos maladies ? Que feriez-vous donc si, chargé comme il l’était, et de biens et de bonnes œuvres, vous étiez tombé dans la maladie ? Oui, pensez à ce saint patriarche, voyez-le, pendant de longs jours, rongé de vers, assis sur un fumier et tourmentant de ses ongles une lèpre hideuse. Après des souffrances de longue durée déjà, disent nos saints Livres, sa femme l’apostrophait : « Combien de temps encore durera votre patience ? continuerez-vous toujours à répéter : J’attends, j’attends encore ? Dites plutôt une parole contre Dieu, et puis mourez ». (Job. 2,9) – Je reviens à vous, cher auditeur. Vous murmurez parce qu’un fils vous est mort ? Que serait-ce donc si vous les aviez tous perdus, et encore par une fin cruelle comme autrefois Job ? Vous savez, au contraire, oui, vous savez combien vous ont consolé les soins prodigués à leurs derniers jours, cette assiduité auprès de leur chevet, ces baisers de vos lèvres à leurs lèvres, leurs yeux que vous avez fermés, leur bouche que vous avez close, leurs dernières paroles que vous avez ouïes ! Job, si grand et si juste, n’a pas même obtenu du ciel ces suprêmes consolations : tous ses fils, d’un seul coup, furent écrasés et périrent.
Mais, que dis-je ? Si vous aviez reçu l’ordre de tuer vous-même votre fils, de l’immoler de voir brûler sa dépouille mortelle comme cet autre patriarche [Abraham], qu’auriez-vous fait ? Et pourtant avec quel courage il construit un autel, y place le bois, y attache son fils ? – Mais il est des gens qui vous poursuivent de leurs insultes ? Que serait-ce donc si les auteurs de ces insultes étaient des amis venus pour vous consoler ? Et pourtant les péchés ne nous manquent jamais, et à ce titre nous avons mérité l’outrage. Mais Job, qui était un homme sincère, juste, pieux, qui avait évité toute faute, s’entendit calomnier par ses amis. Quelle eût été votre attitude en présence d’une épouse qui vous aurait couvert de reproches ? Oui, disait-elle, me voilà, pauvre vagabonde, servante condamnée à errer çà et là, d’une maison à l’autre, n’attendant qu’avec le coucher du soleil un instant de trêve et de repos à mes chagrins ! – Femme insensée, qu’oses-tu dire ? Ton mari est-il donc la cause de tes malheurs ? Non, non ; c’est le démon seul ! – « Job », dis-tu, « Job, prononcez quelque parole contre le Seigneur, et puis mourez ». Est-ce bien ta pensée ? En serais-tu plus heureuse, pauvre folle, si cet agonisant prononçait cette parole et qu’il mourût ? – Mes frères, il n’existe pas de maladie plus affreuse que celle dont Job était