Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/77

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Voulez-vous aussi approfondir ce que vaut cet or dont on aime à parer les femmes et même les chevaux ? Ici le mal et le ridicule ordinaire s’augmentent d’un trait de plus : les richesses donnent la folie. Oui, on honore de même manière et les femmes et les chevaux ; aux unes comme aux autres on choisit mêmes parures ; on veut faire briller celles-là par les mêmes ornements qu’on placera sur les chars, qu’on brodera sur les housses pompeuses où elles-mêmes viendront s’asseoir. Dites-moi, quel profit trouvez-vous à rehausser d’or un cheval, un mulet ? Et cette femme ainsi chargée d’or, écrasée de pierreries, en est-elle plus riche ? — Mais, dites-vous, les bijoux d’or ne s’usent point. Les gens du métier assurent tout le contraire ; dans les bains et même souvent en d’autres endroits, les pierreries et l’or perdent beaucoup de leur prix. Au reste, je veux que vous ayez raison : ces bijoux ne se détériorent jamais ! Mais encore, quel rapport vous donnent-ils ? Quand ils sont usés ou perdus, n’est-ce pas un dommage ? Et quand ils vous ont attiré la haine et l’envie, n’est-ce pas un malheur ? Oui, lorsque d’une part, je les vois sans rapport ni profit pour vous, charger votre femme, et que d’ailleurs ils allument contre vous les regards des envieux, les convoitises des voleurs, n’est-ce pas un dangereux profit ? Quoi ! le mari pouvait trouver dans ces valeurs un précieux capital à utiliser dans quelque entreprise lucrative, et le luxe d’une femme dépensière l’arrête, et le voilà réduit à se défendre lui-même contre la famine, à lutter contre une gêne extrême, tandis qu’il contemple cette créature chargée d’or, et ce n’est pas une ruine, un malheur ? Et cependant le seul nom de la fortune, chez nous Κρήματα, signifie biens utiles, et nous rappelle qu’il faut en faire usage, non pour un étalage de bijoutier, mais pour quelque œuvre honorable et lucrative. Si donc la folle ambition de l’or en parure vous en interdit le véritable usage, que vous laisse-t-elle enfin, que ruine et malheur ? Ne pas oser vous en servir c’est vraiment ménager comme si c’était propriété d’autrui : dès lors cette richesse, sans emploi, est-elle encore un bien utile ?

Sommes-nous mieux avisés de construire des palais splendides, immenses, de les embellir de colonnes, de marbres, de portiques, de promenoirs, de mille ornements divers, d’y placer partout et peintures et statues ? On reconnaît souvent, dans ces dernières, les images du démon : mais je veux l’oublier pour le moment. Que font encore ces toiles lamées d’or ? Une habitation modeste et appropriée à nos besoins nous rend-elle moins de services ? Mais, dites-vous, un palais vous ravit, vous enchante ! Oui, pour un jour ou deux ; puis le charme s’évanouit. Le soleil lui-même n’excite pas en nous une grande admiration, à cause de l’habitude que nous avons de le voir ; un objet d’art en excitera bien moins encore ; bientôt nous ne le remarquons pas plus qu’un vase d’argile. À quoi servent pour la commodité d’une habitation, la multitude des colonnes ou la beauté des statues, ou l’or répandu à profusion sur les murs ? À rien ; tout cela n’est que luxe insolent, fol orgueil, vrai délire ; les choses nécessaires ou vraiment utiles devraient nous occuper, et non pas d’inutiles folies. Ruine et malheur : telle est la suite de ces excès. En comprenez-vous la superfluité, la frivolité ? On n’y trouve rien pour l’utilité, rien même pour l’agrément, puisqu’avec le temps ce faste engendre la satiété, et ne vous laisse que dommage et que ruine. Mais le goût de la vanité est un voile épais sur nos yeux. Paul abandonne ce qu’il croyait un gain ; et nous, nous ne savons renoncer pour Jésus-Christ à ce qui nous perd ?

4. Jusques à quand enfin serons-nous cloués à cette misérable terre ? Jusques à quand enfin n’aurons-nous point de regard pour le ciel ? Ne voyons-nous pas, comme en vieillissant, tels ou tels ont déjà perdu jusqu’au sentiment du passé ? Ne voyons-nous pas mourir et jeunes et vieux ? N’en voyons-nous pas qui, dès cette vie même, sont dépouillés de tout et complètement ruinés ? Pourquoi convoiter ce qui est si fragile ? Pourquoi nous attacher à des biens sans stabilité ? Jusques à quand négligerons-nous la seule richesse durable ? Que ne donneraient pas les vieillards pour déposer le lourd fardeau des ans ? Dès lors, quelle folie que ce désir de retrouver sa jeunesse première, jusqu’à consentir à tout livrer en échange pour la reconquérir, tandis que ; placés en face d’une autre jeunesse qui sera sans déclin, d’une jeunesse comblée de richesses ineffables et d’une vie bien autrement vigoureuse, on ne veut pas même faire le moindre sacrifice pour l’acquérir, l’on préfère retenir ce qui, dans la vie présente, nous est absolument